A Pénélope, femme d'Ulysse.
En 2008, les esprits un
peu scientifiques ne croient plus aux biographies, et moins encore aux
autobiographies. Ils savent que les souvenirs sont largement reconstruits sans
cesse pour en faire 'une vie', comme le savaient déjà les anciens observateurs
des cerveaux et des corps, tels Peirce et son père durant leurs soirées
analytiques, Freud ou Valéry. En même temps, nos contemporains sont avides
d'existences vérifiables, grandes et petites. A cet égard, l'auteur de l'Anthropogénie,
né en 1921, a aujourd'hui le sentiment d'avoir vécu presque 'en direct' des
événements que d'autres ne rencontreront plus que dans les livres. C'est
pourquoi son Anthropogénie ne comporte pas de bibliographie, sauf des
Tables analytique et alphabétique faites au lendemain de la mort de Micheline
Lo en 2003, donc ses prestations de co-auteur conclues. Ceci a favorisé
probablement ce que Ebbel a appelé en 1999 "evolutionary chances", à la suite
de Stephen-Jay Gould, lequel a introduit, depuis1980, la notion de "macroEvolution par
équilibres ponctués", et en tout cas de "macroBiologie". Ainsi, l'Anthropogénie
peut se présenter aujourd'hui commodément comme une macroHistoire
darwinienne des "équilibres ponctués d'Homo", particulièrement en ses "sciences
humaines". A macroHistory in a Darwinian way.
Scientifique, tout travail
est partiel, partial, et il est éclairant de le saisir sur une toile de fond
oppositive. Ce 'backdrop' existe pour la présente biographie de 20 pages, et du
reste pour l'Anthropogénie entière. C'est A Bend in the River, 1979,
de V.S. Naipaul, un Prix Nobel de littérature révolutionnaire de 2001, souvent
considéré depuis comme le plus grand romancier (novelist) de la seconde moitié
du XXe siècle ; le contraste nous agrée d'autant mieux que vient de sortir
une allo-auto-biographie de Naipaul en 554 pages par la médiation de Patrick
French (IHT, 22-23 novembre 2008). Un 'backdrop' est également proposé par
Claude Lévi Strauss, à la fois proche et lointain, puisque, déjà
macroHistoriennes, ses Mythologiques sont systémiques, alors que l'Anthropogénie
est systématique.
Suivent donc quelques-uns
des "équilibres ponctués" qui dans la vie de l'auteur ont concerné l'Anthropogénie.
Surtout les moins évidents. Les autres événements et personnages, si
importants seraient-ils dans une biographie habituelle, n'ont pas été retenus.
Telles les cinquante années de collaboration ostensible avec Georges Lurquin.
Trois conventions nous épargnent les répétitions de formules:
a) Le signe '…' souligne qu'il s'agit d'un
mot pris au sens technique de l'Anthropogénie.
b) Le signe "…" signale
qu'il s'agit d'une citation littérale, ou bien encore d'un diagnostic et
pronostic d'une époque. En sorte que "un phlegmon» peut se lire "ce que l'auteur
ou quelqu'un d'autre ont énoncé un jour littéralement", ou "ce qu'on a
considéré comme un phlegmon, même si le diagnostic et le pronostic seraient
aujourd'hui tout autres".
c) Le signe [ … ] signale un cas de microHistoire qui a rencontré et éclairé la
macroHistoire, par exemple : [Talmud, Homère, Deleuze, Football,
puissance*, Haplogroup].
Suites et séries [ Une vie est un ensemble de suites et de séries ]
1921 Naissance à Rio de Janeiro. L'Amazonie. Un
Carioca imaginaire
1922 La Mère et le
Père exquis
1923-1930 Les
Années Folles et une éducation 'avunculaire' dada
1927 Beethoven et
le Brasted désaccordé
1929 Le "métaphysicien" : 'Wille', 'God'. 'American TranscendEntalism'
1930 Deux suicides
familiaux en système: un Grand-Père, un Oncle
1930 Pascal,
Sophocle, Chateaubriand et l'abbé Vermeulen
1937 Aloys Hanin
S.J. La vie tempête. Virgile. Hegel
1938-48 Les
Jésuites Belges et les "fous de la vérité"
1945-46 Le Pays
Noir. Lavendhomme et les 'Bourbaki'
1950 Leuven
Husserl, Heidegger, Lemaître. Le logicien mathématique Jean Ladrière
1950
Leuven La Revue Nouvelle et les politiciens "grands honnêtes hommes"
1950 Leuven
Micheline Lo et "l'absolu concret»
1959 Les
arts de l'espace. Le Pan Paniscus (Bonobo). Le sexologue
1965 Le visiting
en psychologie expérimentale au Canada. Jean-Louis Laroche
1968-2003 Le Ventoux
et la Lure: le 'design-architecture'. Paul Mignot
1986 La
retraite : de la vérité à l'exactitude
1992 L'Hôtel de
Saint-Aignan: de l'Anthropologie fondamentale à l'Anthropogénie
2003 Mort de
Micheline Lo. Cosmogonies contemporaines.
2009 La sénilité
létale. Watching myself aging. L'extase
1921 Naissance à Rio de Janeiro
Une naissance au
Brésil ne s'oublie pas. Ce sont l'Amazone et l'Amazonie, le fleuve et le bassin
les plus puissants de la Planète, surgis, sous les mouvements des plaques
tectoniques, quand un continent basculant d'Est en Ouest se mit à basculer
d'Ouest en Est depuis la Cordillère des Andes. Et aussi, chez l'anthropogéniste
plus tard, le très océanique Camoëns, le très pluripersonnel Pessoa, une poésie
concrète vraiment populaire, l'architecture du créateur centenaire Niemeyer, la
samba comme religion, les nasalisations redupliquées. Le Brésil, terre-mère
imaginaire pour quelqu'un qui disposa de la double nationalité, belge et
brésilienne.
1922 La Mère et le Père exquis
La Mère avait
quinze ans de Brésil, parmi une famille de six enfants qui furent Brésiliens
durant 20, 30 ans ou davantage. Elle a été élève, puis très jeune professeur de
français au Corso Jacobino, une boîte chic du lieu, où parler naturellement le
français était une estampille. Elle ne supporta plus jamais le fait et l'idée
de la mort depuis qu'une sœur bébé était morte là dans ses bras. Le Grand-Père,
homme le plus impressionnant, avait abouti au Brésil parce qu'en Europe il
avait tué son homme en duel et favorisé des faiseuses d'anges. Professeur
fameux, incomparable dans La tirade des nez, il n'apprit jamais le
portugais, refusant de parler "cette langue de sauvages".
Le Père, volontaire
de guerre, gazé et 'croix de feu' comme téléphoniste ayant eu à circuler parmi
les tranchées amies et ennemies, puis comme artilleur de la dernière offensive
Foch, fut, après 1914-1918, selon le syndrome d'Apollinaire et de Teilhard,
désorienté par l'armistice. Pour se régénérer, il alla visiter à Rio une sœur,
et y rencontra et épousa la Mère, une de Wael, descendante d'un bourgmestre
d'Anvers lui-même remontant à quelques portraiturés de Van Dijck. Du coup elle
perdit sa place dans le Gotha, dont elle n'eut jamais cure, mais elle
s'entendit toute sa vie reprocher par la Grand-Mère "d'avoir fait une
mésalliance en épousant un roturier", qui avant le conflit fabriquait la gueuze
et la kriek lambic à la Porte de Bois, un bistrot historique de Bruxelles ;
possédé par son père et par lui-même. Comme beaucoup de soldats, il parla de la
guerre à l'auteur pendant une vingtaine de minutes en tout. Consulté en 1940
par Robert Ballon SJ., destiné au Japon mais qui voulait d'abord s'engager en
Europe, il répondit que "la guerre était une cochonnerie", comme de Gaulle
confiait sur sa fin que "l'amour réel c'était plus beau qu'au cinéma, tandis
que la guerre réelle c'était pire, ne pouvant être que suggérée". Couple
amoureux ostensiblement que cette Mère et ce Père, malgré une courte frasque de
la Mère à fort tempérament. Le Père ne supporta plus bientôt le climat de Rio,
cosmopole qui n'était pas encore aérée à l'époque par le déblaiement d'une
montagne. Le Carioca imaginaire rentra en Belgique à l'âge d'un an.
1923-1930 Les 'années folles' et une éducation avunculaire dada
Les années Dada furent un
'équilibre ponctué' majeur dans la macroHistoire. Du côté de la France, sorte
de victoire-défaite, conjuguant l'exaltation de la fin
d'un conflit incompris [encore aujourd'hui] avec la démolition du territoire
nord du pays et le malaise d'une population dont des milliers avaient pourri
dans les carnages de Verdun et de la Somme, tandis qu'à l'arrière beaucoup
comme Proust réclamaient leur croissant chaud au petit déjeuner. Du côté de
l'Allemagne, un territoire non entamé, mais selon une sorte de défaite-victoire
tout aussi problématique, qui après Versailles souleva Hitler.
A Bruxelles, l'auteur
connut une 'éducation avunculaire'. Les après-midis, quand il remontait de
l'école des Frères des Ecoles chrétiennes de la rue de Molenbeek, l'enfant
unique (c'était mode et vœu) était kidnappé comme un dieu par Oncles et Tantes.
Il connut les surprises d'une des premières Ford, le tennis du Leopold Club,
les hurlements hystériques qui accompagnaient les accrocs des nouveaux bas de
soie. Dans ce milieu petit bourgeois, cela faisait bien d'épouser des
étrangers : ainsi la "Tante Guite" épousa "l'Oncle Jo", un 'Russe blanc'
d'Ukraine, et une cousine très voisine épousa un Arménien vendeur de tapis.
Chic aussi, tandis que la Mère et le Père étaient des chrétiens minutieux,
d'avoir des Oncles et des Tantes francs-maçons, voire athées, comme un
Grand-Oncle, voisin immédiat, qui formait les prosélytes de sa Loge, classait à
sa gloire les contraventions de ses amis, et était grand-invalide de guerre
sans avoir quitté "l'échelon". Tant et si bien que les années folles ne
connurent jamais dans la Famille une once des emballements idéologiques du
temps. Elles furent dada, Dada dont tous ignoraient le nom.
1927 Beethoven et le Brasted désaccordé
Dans cette éducation
avunculaire, une "Tante Mi" jouait le dernier mouvement de la première sonate
de Beethoven à Haydn avec le feu de ses dix-huit ans. Assez pour que
l'anthropogéniste de six ans devienne Beethovénien pour toujours, et donc ne
s'étonna jamais qu'Homo, quand il voulut signaler sa présence à d'autres
habitants de l'Univers, commença par les quatre premières notes de la Cinquième
Symphonie. Assez aussi pour ne pas s'étonner que l'Hymne à la
Joie devînt le chant supranational de l'Europe en gestation.
Les Parents, sans culture,
mais qui faisaient paradoxalement des achats pertinents, achetèrent à ce moment
un piano Brasted, très anglais, dont l'auteur joua toute sa vie, et qui portait
particulièrement bien Beethoven, serait-ce pour la façon dont ce musicien des
résonances tolère l'accord approximatif qui frappa Thérèse Brunsvik en I799
quand elle vint la première fois chez le maître, pas encore totalement sourd.
[L'auteur joua toujours la musique génétiquement, un peu comme si elle était en
train d'être composée. Quand Beethoven projeta une réédition finale de ses
œuvres complètes, il se proposait de ralentir plusieurs de ses indications de
mouvement, assurent les époux Massin.]
1929 Le métaphysicien: Wille, God, American transcendEntalism
C'est alors qu'un soir,
dans la courte rue Ketels qui remontait de son numéro 2 des Grands-Parents à la
place communale Bockstael, l'anthropogéniste 'sut' qu'il serait toujours et
d'abord métaphysicien. Si les souvenirs ne sont pas trop infidèles, il
comprenait ce qui suit. N'avoir pas de Moi ou à peine le 'je' et le
'moi' des verbes français. Ne connaître jamais aucune ambition. Assister aux
étrangetés d'un cerveau et d'un corps pratiquant vérité et exactitude. N'avoir
aucun besoin impérieux, mais seulement des désirs, non de manque mais de
complétude [Deleuze]. Etre moins sensible à la Voluntas méditerranéenne,
poursuivant des buts, qu'au Wille germanique, sans but, sinon une disponibilité
indéfinie [Goebbels monsieur, et surtout madame, qui tua ses six enfants pour
"leur éviter de connaître une monde sans le Wille indéfini du national
socialisme"]. Deviner que certains cerveaux et corps sont retenus moins ou davantage
par le TranscendAnt que par le transcendEnt du 'American
TranscendEntalism' [Duns Scot, Emerson, Peirce, Elisabeth Bishop, et
exactement présenté par Meschonnig dans Gloires à l'occasion des
hébraïques ta 'am et tehillim.] Croire que certains cerveaux et
corps résolvent des problèmes à partir de référentiels déjà connus, ce
qu'on nomme l'intelligence et le don, desquels l'auteur jouit moyennement,
tandis que d'autres vont spontanément aux référentiels, les captent,
envisagent tous les référentiels possibles, voient comment ils forment des
familles, les convertissent les uns dans les autres, les adaptent aux
circonstances imprévues. Le 'génie' au sens anthropogénique et biologique.
Trouvant quelque chose de grotesque dans toute forme de succès. [Einstein
tirant une pleine langue humide, talmudique, au photographe]
a) L'âge adulte de l'enfance. Caractères généraux
Comment expliquer les
illuminations métaphysiques d'un enfant de huit ans ? D'abord, chez Homo
primate possibilisateur, ces expériences sont plus fréquentes qu'on ne croit.
Du reste, c'est une affaire d'âge, "l'âge adulte de l'enfance", comme pour
cette gamine chez Sartre qui découvre en un instant toute la métaphysique
humaine en regardant un soir l'horizon du haut du pont d'un navire. Ou chez
Proust qui au même âge se sait, s'imagine mortellement malade, et dorénavant
verra Le Temps perdu à travers une
qualité de mort.
Enfin, le tempérament et
les rencontres, ou la simple maturation sexuelle ont sans doute eu pour effet
que l'anthropogéniste devina que son parti
d'existence, donc sa topologie, sa cybernétique, sa logico-sémiotique, serait non pas celui d'un "clitoridien", d'un
"vaginal", d'un "utéro-annexiel" (Françoise Dolto] mais d'un "vulvaire", "moule,
poulpe, pulpe, vulve" [Claude Simon].
b) L'âge adulte de l'enfance. Le vulvaire
Le fantasme vulvaire appelle quelques développements. Il comporte
"la coupure entre deux ensembles vide", s'il est plausible que les lèvres
féminines soient des surplus des tissus des cuisses sur ceux du tronc [Vincent
Fleury]. Ou encore il annonce l'origine des nombres dans la Théorie des Nombres de Conway. Mais pour
les Orientaux, surtout Indiens, le yoni est "complémenté" par le coupeur
érectile oblique (Hermès) qu'est le "linga". L'article "linga" est si exact
dans l'organon d'E.U. 1970 qu'il faut le citer ad litteram : "Linga, qui veut dire signe, symbole
distinctif, est l'objet principal du culte dans les temples shivaïtes, dans les
sanctuaires et au foyer familial. Le "yoni", qui est le symbole de l'organe
sexuel femelle, donc de la déesse Shakti, parèdre de Shiva, forme souvent la
base du "linga en érection". Leur association rappelle au dévot que les
principes mâle et femelle sont à jamais inséparables et qu'ils représentent
ensemble la totalité de toute existence. Il faudrait citer le reste, mais
contentons-nous de "68 linga autoexistant",
"depuis l'aube des temps". [Mozart,
Die Zauberflöte]
Cette doctrine du Japon, de la Chine, de l'Iran, des Nomades, dont
Israël, se récapitule dans le Tadj-Mahal, "presque trop féminin", confirme E.B.
1960. Les mêmes croyances pérennes refont surface lors des retours à
l'accouchement debout et "mi-debout". Ou dans le refus significatif de Kaja
Saariaho d'être classée comme "musicienne féminine", se considérant 'musicienne
conjonctive' lorsqu'elle déclare s'être senti capable non seulement de jouer
mais de composer dès l'instant où elle senti un fœtus remuer dans son ventre.
Ce n'était pas comme mère particulière, mais comme relais des "couples" de
vivants depuis toujours. On trouve la même réserve dès 1980 chez le peintre
Micheline Lo, laquelle a fini par classer ses transparences imagétiques
phalliques et vulvaires comme des Chemins
des écritures, chemins d'un "linga" généralisé.
1930 Deux suicides familiaux en système : un Grand-Père, un Oncle
A un an de distance, se
suicidèrent le Grand-Père maternel, et un Oncle, son fils. On songe à la Grande
Crise, où chacun connut ou frôla la faillite, ou la mort. Mais l'angine de
poitrine joua sans doute un rôle chez le premier en ces temps sans Trinitrine,
tandis qu'une dépression circonstancielle intervint chez le second. Un peu théâtralement,
comme il convenait à son reste de sang bleu, le Grand-père se tira une balle
dans la bouche en regardant à travers le pare-brise de sa Ford chérie les
perspectives dégagées de la future exposition de Bruxelles de 1958. Son Fils se
contenta d'ouvrir prosaïquement le gaz dans un appartement sans caractère.
Contraste théâtral anthropogénique pour l'enfant.
1930 Pascal, Sophocle, Chateaubriand et l'abbé Vermeulen
Le Père, qui vendait des
articles pour fumeur, reçut d'un marchand de pipes en écume des Pensées de
Pascal (Lutetia rouge) et des Tragédies de Sophocle (cuir rouge), au
moment où un professeur de "Sixième", l'abbé Vermeulen, vendait les douze
volumes vert foncé des Œuvres complètes de Chateaubriand qui
comprenaient jusqu'à la correspondance diplomatique, mais pas encore les Mémoires
d'Outre-Tombe. L'anthropogéniste garda avec ces trois classiques une amitié
infrangible. Pascal pour son malaise devant tout divertissement gratuit.
Sophocle pour sa façon, selon l'héroïsme logique grec, de se demander à
la fin s'il ne valait pas mieux ne pas être né, tout en restant le plus galant
des vieillards d'Athènes. Chateaubriand pour son constant regard "d'Outre
Tombe". L'abbé Vermeulen sentait et proclamait la différence entre
'intelligence' et 'génie', sans avoir les mots. Il accompagna le 'phénomène
créativement évolutif' durant deux semaines à explorer les méandres de la
Semois et manger des truites fraîches, en ces années où un adulte et un enfant
pouvaient encore voyager de concert sans que personne n'ait un regard entendu,
ni que les parents se posent des questions.
1937 Aloïs Hanin S.J. La
vie tempête. Virgile. Hegel
Venant de la Grande
Dépression des Ardennes à la hauteur de Ciney, et ayant trente-cinq ans alors,
Aloys Hanin, professeur de Poésie, était une tempête. Agissant à la façon d'un
phénomène naturel, un peu comme la langue anglaise maniée par Shakespeare selon
Wittgenstein, c'était bien un coup de vent qui entrait chaque matin dans la
classe, porté par ses méditations matinales, ses messes déjà célébrées, ses
prestations à l'orgue, où, comme les musiciens nés, il jouait tout de mémoire
et transposait tout de toute part, ce que l'auteur fut toujours incapable de
faire. Il dit à son élève : "Prends l'appassionata de Beethoven,
c'est solide". Il adorait Horace, tandis que l'anthropogéniste venait, pour la
première fois, d'être foudroyé par la "consistance ontologique" de Virgile
[Claudel]. Cela faisait, après les cours, des échanges interminables.
Régnait encore, comme chez l'abbé Vermeulen, la stricte 'distinction des
genres', et un professeur de trente-cinq ans pouvait être amoureux d'un
adolescent de quinze, qui s'en apercevait, sans qu'on imagine qu'on s'effleure.
Quand, au milieu de l'année, l'auteur suivit ses parents de Namur à Bruxelles,
Aloys Hanin dont ses élèves disaient "Il ne nous fait pas des cours, mais des
conférences" invita son métaphysicien de prédilection à faire une 'conférence'
à ses anciens compagnons. Fut choisi Hegel. La tempête Hanin s'éteignit à 45
ans, comme pressenti.
Tout cela avait lieu dans
le brouhaha de la grande Crise de 1930 et du New Deal de Roosevelt de 1933,
avant la montée du Fascisme et du Nazisme, parmi des "mouvement: de jeunesse"
aux relents d'eugénisme et d'antisémitisme. Pour l'anthropogéniste ce fut le "Jamboree
de Hollande" avec Lord et Lady Baden-Powell, le rôle d'un arbre de la "Forêt de
Macbeth" à jouer parmi des milliers d'autres "arbres", le premier vol dans un
avion Bréguet, un "phlegmon au genou" qui lui donna une familiarité avec la
mort dès quinze ans. Et aussi avec un premier sulfamide qu'avait apporté un 15
août au soir l'illustre professeur Verhogen de l'ULB, persuadé par le Père,
d'habitude pacifique, mais qui se réveillait croix de feu dans les
circonstances extrêmes.
1938-1948 Les Jésuites belges et les "fous de la vérité"
Ainsi, pour l'auteur
devenu "rhétoricien", les jeux étaient faits. Avec la mort approchée de
près, avec la très pénible convalescence, avec les tempêtes d'Hanin, le
métaphysicien avait rencontré ce qu'il attendait de l'existence. Hanin était
Jésuite, que faire de mieux en 1937 que d'entrer chez les Jésuites, du moins
chez les Jésuites Belges, lesquels à ce moment connaissaient une phase
fermement anthropogénique ?
Déjà par le chorus des
professeurs. Joseph Maréchal, auteur de cinq Cahiers solidement publiés,
introduisait à Kant et à la Philosophie la plus moderne. Auguste Grégoire,
spécialiste des sciences, des mathématiques et des logiques de pointe [Cantor,
Dedekind, Poincaré, Meyerson, etc.], écrivait et publiait Immanence et
Transcendance, ce qui valut à l'auteur de faire son mémoire de licence sur La
philosophie des sciences chez Lachelier. Johaan, un Luxembourgeois mourant
de vieillesse, avait dominé toute la métaphysique occidentale et
orientale pour avoir dirigé à Calcutta et à Darjeeling "the Light of the
East", où se rétablissaient les textes sanskrits corrompus quand les
autochtones s'y embrouillaient. Raignier, un spécialiste des fourmis, était un
familier de Thomas Hunt Morgan et de ses drosophiles [l'anthropogéniste en a
gardé un culte biologique pour cette mouche à fruit, fruit fly, très propre et
évolutivement prolifique, dont en été il infeste encore ses voisins]. Le
formicologue ensoutané et tonsuré Régnier rendait quiconque conscient des
dernières recherches sur l'hérédité dans l'Evolution, donc sur cet aspect de
Darwin, qui avait souvent marqué que la sélection naturelle
supposait en préalable une variation naturelle et des attirances
naturelles sexuelles "qu'il ne pouvait expliquer" [avant les
haricots de Mendel]. Si Pasolini avait connu le maître des novices Schaack, il
n'aurait jamais hésité un instant pour le choix des visages et des
comportements de ses Christ.
Autant de "fous de la
vérité", pour qui les enseignements pontificaux n'intervenaient que déjà
notifiés par le Droit Canon, et donc ne concernaient nullement l'Evolution. De
façon imprévue, chez ces descendants des casuistes des Provinciales de
Pascal, la moindre "restriction mentale" se faisait immédiatement dénoncer
publiquement. Le Bollandiste Peeters [Littré Bollandistes, avec un
historique parfait dans Bollandists, E.B.l970] avait utilisé les longs
couloirs du Collège Saint-Michel à se pénétrer de dix expressions par jour
d'une langue quelconque, mais surtout moyenne-orientale, ce qui bouclait une
langue en six mois, deux langues en un an, et donc vers 1938 une bonne
cinquantaine de langues ; de quoi nettoyer de leurs légendes
hagiographiques quelques centaines de Vitae sanctorum, ce qui était la
fonction d'un Bollandiste depuis 1700. Cet exploit, notoirement connu en 1938 a
non seulement pu agrandir chez l'auteur le prestige des Jésuites belges, mais
confirmer le futur anthropogéniste dans l'idée qu'un texte n'est pas vraiment
intelligible sinon dans sa langue et dans son écriture originale, l'allemand et
le gothique pour Marx, la langue et l'écriture Song pour le taoïsme chinois, le
pali et le nagari pour les édits rupestres d'Açoka, second fondateur du
bouddhisme, le copte pour les évangiles gnostiques ; et qu'avoir parcouru
les 350 pages d'une grammaire de Kenya-Rwanda de 1975 en apprend plus sur le
génocide rwandais que toutes les interviews de bonne volonté actuelles sur le
sujet. L'auteur ne connaîtra jamais assez de japonais féminin du XIème siècle
pour parler du Dit du Genji autrement qu'en soulignant que c'est par
simple ouï-dire.
Il y avait pourtant une
coloration particulière aux expériences jésuitiques de l'anthropogéniste. Quand
il prononça "ses vœux perpétuels" à dix-neuf ans, deux étaient triviaux. "Et
nos inducas in intentationem" [chez le primate possibilisateur, renonçons à
l'argent, folie de la possibilisation pure]. "Sed libera nos a malo"
[renonçons aussi au pouvoir, folie de la possibilité pure, "mal radical"
selon Kant]. Mais le vœu de chasteté était de tout autre nature. Celui qui le
faisait le matin pouvait savoir le soir en s'endormant qu'il ferait un jour des
expériences orgastiques type Fellini, Saint-John Perse, Jean de la Croix,
Thérèse d'Avila, tant nos cerveaux animaux, techniques et sémiotiques sont
multifonctionnels].
Par conséquent, à Arlon, à
Drongen, à La Pairelle, d'où du toit il assista aux somptueux bombardements
nocturnes de Namur à balles traçantes durant l'Offensive von Rumstedt, le jeune
anthropogéniste s'appliqua surtout à prendre tout avec intensité, donc en
éprouvant le plus métaphysiquement possible l'histoire de l'Eglise, la
théologie, la mystique, les fameux Exercices Spirituels d'Ignace de
Loyola, "notre Père fondateur" [pas le Loyola de Barthes], et ce que Molière
invoque dans Tartuffe avec les majuscules et la ponctuation forte de
l'époque : "Laurent, serrez ma Haire, avec ma Discipline". Bref, en ne
reculant devant aucune "exinanition". Et en s'attendant à ce qu'à un métaphysicien
on réserve les tâches d'humiliation : le nettoyage des toilettes au début,
et plus tard l'intendance, où il excella de nuit comme de jour.
Du reste, il se trouvait
des connovices remarquables. François Duyckaerts, originaire des Cantons Rédimés,
et donc familier de l'allemand, était un parfait introducteur à Fichte. Il
reçut plus tard le prix Franki et des enseignements prestigieux à Bruxelles et
à Liège pour La notion de normal en psychologie clinique [Vrin].
Néanmoins, après une dizaine d'années de leurs intensités spirituelles, Henri
et François finirent par passer de la "TranscendAnce" et du TranscendAnt
d'Auguste Grégoire à quelque chose comme le "American TranscendEntalism".
Ils restèrent toute leur vie de ces amis qui se voient peu mais sentent à
chaque fois qu'ils se retrouvent qu'ils ont connu entre-temps les mêmes
expériences et les mêmes évolutions. Le moment d'une tasse de café leur
suffisait pour préciser combien Dieu et God ne sont pas de même racine que
Voluntas et Wille sont aux antipodes, que transcendAnt n'est nullement
transcendEnt.
Cependant, à l'inverse de
l'auteur, dont l'existence baigna d'ordinaire dans les chaleurs de "l'absolu
concret", François connut toutes les extrémités de la souffrance du vivant. En
1940, il perdit sa famille entière d'une bombe ; l'année suivante, sa
femme Julienne se tuait dans un virage à peine mariée ; après cent autres
malheurs, il finit en une aboulie totale de deux ans sous l'effet d'une
embolie. Sa familiarité avec les extrêmes contribua sans doute à une humanité
débordante auprès de ses patients d'une psychanalyse dont il voulait évacuer
les approximations de doctrine et de recrutement.
1945-46 Le Pays Noir. Lavendhomme et les
'Bourbaki'
Les sixième, septième,
huitième années de formation dans la Compagnie de Jésus tenaient en un premier
professorat. L'auteur eut sa mission au Pays Noir. Avec l'incendie des hauts
fourneaux la nuit. Avec les descentes dans la mine le jour. En ne se déplaçant
jamais sans contourner des terrils. Et aussi, parmi cette austérité poignante,
les élèves les plus sérieux : au deuxième banc à gauche René Lavendhomme,
déjà mathématicien à côté de Robert Bultot, le futur historien patenté de la
morale judéo-chrétienne aux premiers siècles méditerranéens. Quelques bancs plus
loin, Jean Mestdaegh et Jean-Louis Laroche. Un "Big Four", disions-nous.
En 1945, avant les réglementations de l'enseignement, le professeur en
mission eut des classes de 54, 48, 56 élèves, qu'il divisait en "équipes" de
huit avec un "chef d'équipe qui le dispensait de surveiller les examens,
permettait à tous de rédiger et de signer leurs bulletins eux-mêmes, d'avoir en
classe une bibliothèque où chacun jouissait, à condition de les noter, d'une
centaine de livres de son choix, allant de la Reine Victoria de Strachey
au Déclin de l'Occident de Spengler, qui fit un des étonnements
émerveillé de René Lavendhomme. A l'époque, on trouvait naturel, sans "moyens",
de décorer sa classe d'objets up to date, de balayer son local chaque matin, de
recevoir un élève à 16 heures, donc trois fois l'an, pour lui demander quels
étaient ses intérêts, lui signaler que d'autres en avaient de semblables,
évoquer des bibliographies.
Il arrivait que la "Seconde" jouât en plein air l'Antigone de Sophocle à Loverval et
à Namur. Les
chœurs grecs chantés en grec étant composés par un collègue Rinen SJ.,
connaisseur suffisant de la Musique antique, et soutenus par un élève
providentiellement hautboïste. Un Cohen faisait des choses semblables à la
Sorbonne dont il promenait jusqu'aux Etats-Unis ses étudiants montés sur des
cothurnes [Micheline Lo fut impressionnée à jamais en Belgique par ses Perses
d'Eschyle]. Le professeur de Rhétorique étant décédé, la "Seconde" monta
une Messe de Palestrina à quatre voix. Couramment, elle entraînait les
six-cents élèves du Collège à remplir l'église à deux voix.
En ce temps, Lavendhomme
avait 17 ans, et n'était pas encore le catégoricien ami d'Eilenberg. Il était
Bourbaki, "mathématicien polycéphale" selon l'expression de l'ami Deprit, un
physicien qui finit au Bureau des Mesures des U.S. [Peirce et Einstein aussi
travaillèrent dans un Bureau des Mesures]. Le motto Bourbaki sonnait: A bas le
triangle!" [Jean Dieudonné]. Très éveillant! Le tremplin du Bassin de natation
de Jemmapes suffisait aux sauts de l'ange de l'auteur. Un Père Seigneur S.J.,
qui portait en grand seigneur son nom et sa beauté noble, l'accompagnait parce
que l'air de Charleroi gorgé de poussière de charbon était censé "favorable"
aux tuberculeux d'avant la streptomycine. L'auteur y visitait le soir, à
l'heure de la température, son confrère Albert Léonard SJ., en train de mourir
sereinement à vingt-cinq ans de la tuberculose en écrivant le Bonheur chez
Aristote, aussitôt publié par l'Académie de Belgique.
1950 Leuven Husserl, Heidegger, Lemaître. Le logicien mathématique Ladrière
L'année 1950 fut à Leuven [alors Louvain] le rendez-vous de la planète
philosophique. C'était le temps où "Pater Van Breda", un Franciscain, avait
convaincu Madame Husserl de confier à l'université médiévale une partie des
archives de son mari. Alphonse de Waelhens écrivait
son Heidegger au contact quotidien de Walter Biemel,
assistant du philosophe à Heidelberg. On croisait à tout bout de rue le
Chanoine Lemaître qui aimait mijoter son expansion de l'Univers en joggant en
culotte sport, quand il ne s'emballait pas pour la thèse que Molière était
Louis XIV, lâchant alors la physique théorique durant plusieurs mois. Tous les
pays confluaient. Pour la France, cela faisait Derrida, Ricoeur,
Lévinas, Luce Irigaray,
dont un mémoire La Notion de "Pur" chez Valéry, annonçait sa
thèse, Speculum.
Un personnage considérable était Jean Ladrière.
En ce temps où Gödel était encore vivant et demandait régulièrement à son
recteur "s'il ne devenait pas fou". Jean écrivait Les Limites des
formalismes, qui seront un jour publiées dans la collection des immortels
de la mathématique, où figure le programme d'Erlangen de Felix
Klein, lequel avait classé les géométries selon leurs groupes de
transformations. [Groupes' que René Lavendhomme
enseigna en tête de ses cours, même aux auditoires non mathématiciens, pour
leur suggérer ce que 'mathématique' veut dire, plus intéressée qu'elle est par
les 'transformations' que par les 'transformés'.] Jean, René, Henri
s'entrecroisèrent jusqu'à la fin, dans l'étude et dans l'existence. Le logicien
mathématique Jean Ladrière nous révéla Saint-John
Perse, auteur d'Anabase. ["Under the bronze leaves
a colt was foaled",
traduisit aussitôt T.S. Eliot.]
1950 Leuven La Revue Nouvelle et les politiciens
"grands honnêtes hommes"
"La Revue Nouvelle" en
1950 rassemblait de hauts fonctionnaires et des chefs de cabinet, dont celui de
Pierre Harmel ministre de l'Enseignement, puis des Affaires Etrangères. André
Molitor, le directeur, devint secrétaire privé du roi Baudouin. Harmel et lui
étaient pour leurs opposants politiques "les grands honnêtes hommes". En vingt
années de conseils de rédaction-direction
hebdomadaires, l'anthropogéniste reçut ainsi
l'essentiel de sa formation politique. Aucun article ne s'écrivait que par
celui qui était le mieux placé pour l'écrire. Ces "fous de la vérité" étaient
eux aussi tempérés de réalisme ; pour l'Amérique du Sud, Jean Delfosse, le rédacteur en chef, aimait répéter que "les
auteurs identifiés risquaient leur vie, et que, s'ils étaient compétents, ils
étaient identifiables". Pas trace d'idéologie. La Revue perdit deux mille
abonnements en une livraison pour sa tiédeur à l'égard du Roi Léopold III,
avant que des suggestions de quitter le Vietnam et l'Algérie attirent les foudres
de l'éditeur Casterman, inondant
Paris des bandes dessinées d'Hergé, Tintin et Flupke. L'anthropogéniste avait
été recommandé à la Revue par Jean Mestdaegh en 1950,
lors des expositions des Musées de Vienne, puis de Berlin au Palais des Beaux-Arts
de Bruxelles. Ce fut la mise en chantier des Arts de l'espace de
1959.
1950 Leuven
Micheline Lo et "l'absolu concret"
Jean Mestdaegh,
qui engageait sa brillante carrière européenne d'intermédiaire entre le Conseil
des Ministres de Bruxelles et le Parlement de Strasbourg, aimait déjà provoquer
des rencontres "tentatives". Membre du "Big Four" de
Charleroi, il demanda à son ancien mentor de venir "parler" à un groupe d'une
dizaine de personnes où se trouvaient Jacqueline Wigny,
fille du Ministre, et Micheline Lo, que le discoureur remarqua d'entrée de jeu :
Beauty is only skin deep. Elle lui confia plus tard qu'elle l'avait trouvé "odieux".
Cela se passait à un premier étage. La soirée achevée, ils descendirent
l'escalier. Arrivés sur le seuil, il lui dit, en odieux parfait: "Comment,
Mademoiselle, vous faites la philologie classique, et vous ne fréquentez pas
Meillet et Emout-Meillet, la grammaire comparée des
langues indo-européennes!". Leurs "kots", comme on disait là en demi-néerlandais, se situaient du même côté de la ville, et ils firent quelques pas ensemble. Puis ils continuèrent à marcher ainsi pendant 53
ans, jusqu'à
la mort de Micheline.
L'odieux lui disait
qu'elle était "l'absolu concret", ce qui la faisait sourire.
Elle ne recevait pas
l'ironie française, pouffée de suffisance, mais fort bien l'humour anglais.
Cette fraternité hominienne sans borne. "Pickwickian". Devenu Pickwick à
son tour, Jean Mestdaegh aime dire aujourd'hui que "ce
fut la meilleure rencontre qu'il ait organisée".
1959 Les arts de l'espace.
Le Pan Paniscus (Bonobo). Le sexologue
Quand, en 1957, il écrivit
pour "Encyclopédie française" Sartre et la présence dans la conscience, l'auteur
avait été embarrassé pour ses éditeurs de mettre pauvrement "licencié» dans la
notice biographique. En 1959, il achevait Les arts de l'espace. Au reçu
des épreuves définitives avec leurs amples marges, il se demanda si ce n'était
pas un doctorat. C'en furent deux : le doctorat d'Etat belge, et le doctorat
spécial du Collège Scolastique Cardinal Mercier, considéré comme plus exigeant,
avec dix thèses à défendre au lieu de trois, mais surtout une armée
supplémentaire de cours pour des étudiants déjà professeurs d'Université,
moyennant Mansion sur la Métaphysique d'Aristote dont il montrait le caractère
de notes de cours, Michotte expérimental sur la "causalité"
et la "substance" gestaltistes, Van Steenbergen spécialiste de Siger de Brabant ["Vous faites là l'erreur grossière de
Monsieur Gilson..."]. Dop appliquait Lukasiewiecz aux
logiciens et sémioticiens médiévaux: Jean d'Espagne, Shareswood.
Les années 1960-70 furent
celles où l'auteur fut chargé par l'Université de Louvain - Leuven
de faire tous les deux ans à la Petite Rotonde quatre conférences pour
l'ensemble des étudiants sur la sexologie, alors en fraîche découverte. Ce qui
lui valut d'appartenir pendant une décennie au corps professoral de la Faculté
de médecine comme "sexologue", avec l'avantage de recevoir les synopsis des
thèses d'agrégation médicale, décisifs pour l'anthropogénie.
En même temps, il avait
pour collègue à Saint-Thomas le jeune docteur Armand Huyskens,
qui goûtait d'autant plus L'Intention sexuelle qu'il savait qu'il ne se
marierait pas, ayant une "maladie dégénérative du type Pompidou". Armand était
un musicien consommé, comme les autres chimistes de la famille Huyskens ; il allait chaque année à Amsterdam au Concert Gebouw suivre la Matthaeus
Passion, prémonitoire pour lui. Mais surtout, il étudiait au Musée colonial
de Tervuren le Pan Paniscus.
Ce qui valut à l'auteur de psalmodier: "Où en est le Pan Paniscus
?" trente ans avant que ce dernier devienne célèbre dans la famille des
Bonobos, pour sa capacité à résoudre les conflits par le sexe, non la lutte. En
vue de l'anthropogénie, ce fut une nouvelle confirmation des intérêts
éthologiques de l'auteur, déjà entretenus par les poissons cavernicoles de
Georges Thinès, qui succéda à Nijmegen
à Buytendiik, le fameux éthologue phénoménogue
de La Femme et du Football.
[Grâce au bouillant Georges, éthologiste
publiant des romans chez Gallimard, les études gestaltistes exactes de Jean
Guiraud et de l'architecte Pierre Lison à partir des
nouveaux détecteurs de la colorimétrie, même si l'auteur et Micheline Lo n'en
furent jamais convaincus, se révélèrent utiles, en particulier dans les études
de l'anthropogéniste sur Les formes
réversibles, cas décisif des sauts de point de vue instantanés des cerveaux
technosémiotiques. De même, s'éclairait le Sructura/isme modulaire de l'Italien Vincenzo
Arena, qui décidait de Bruxelles les tuyauteries de
centrales pétrolifères de par le monde pour une firme italienne pendant le
jour, et à partir de cinq heures du soir tournait sèchement sa clé et
pratiquait en artiste la "Systématique des couleurs» de Munsen.]
1965 Le visiting en psychologie expérimentale au Canada. Jean-Louis
Laroche
Le Canada ne fut pas moins
frappant pour l'imaginaire de l'auteur que le Brésil. C'est là que Jean Lemoyne
le conduisit à 70 kilomètre au nord de Montréal, le fit descendre de la voiture
et lui dit à travers le vent polaire: "D'ici on atteint le pôle sans rencontrer
âme qui vive". Mais il ne fallait pas aller si loin. Roulant entre la ville et
l'aéroport Mirabel, on se rappelait le mot d'Arthur Miller dans sa Marilyn
Monroe : "En Amérique, à 6 heures du soir, quand on va d'un trottoir à un
autre, il peut se passer n'importe quoi.". Jean aimait répéter: "Ici, le
mot-clé est l'immense". Dans cet "immense" l'anthropogéniste
entendait le "sans mesure" des Turcs de Sainte-Sophie de Byzance selon l'Umraum Erlebnis d'Ulya Vogt-Göknil [1951]. Au long
d'un film où on le voit roulant vers le nord, le
pianiste canadien Glenn Gould se montre visiblement sensible à cette immensité-là. [Du reste, pour l'auteur, outre
Montréal, le Canada ce fut aussi des visitings pour
hommes d'affaires à Trois-Rivières, des visitings de
sculpture à Chikoutimi sur le Sagenay
vers les derniers flots du Saint-Laurent avant l'Atlantique, ou de
l'architecture nouvelle à Québec pour Hydro-Québec, etc.]
Parmi ceux qui
orchestraient les venues de l'auteur au Canada, il y avait Andrée Desautels, une musicologue qui avait convaincu Scherring de prendre son pouls avant d'enregistrer les Partitas
de Bach. Elle fut rencontrée à Argenteuil, un Centre pour les finalistes du
Concours Reine Elisabeth, mais aussi pour des musiciens et chefs d'orchestre
auxquels l'auteur fit des cours de visiting en
musique. Andrée était une amie d'enfance de Trudeau ["Dédée,
j'ai une place dans l'avion, tu viens?"], tout comme Jean Lemoyne. L'accès
facile au chef alors d'un des cinq pays les plus puissants du monde acheva la
formation politique de l'Anthropogéniste. ["Je
n'oserais jamais avouer à mon peuple ce que j'ai fait pour les pays en voie de
développement."] Le groupe Trudeau préférait la systématicité du Nouvel âge aux
formules, du reste très heureuses ["The medium is the
message"] du Canadien McLuhan. Mais l'auteur trouva
que le livre suffisait. Et il eut la naïveté de croire que son refus se
justifiait quand il commença, en 1970, à pouvoir répéter ses idées dans Encyclopaedia Universalis,
puis dans une soixantaine d'émissions à France Culture, grâce aux
intercessions d'Emmanuel Driant et d'Alain Trutat,
lequel couvait l'œuf de TV5.
Mais le Canada ce fut
surtout Jean-Louis Laroche, un ami très cher du "Big
Four" de Charleroi. Comme professeur à Leuven, puis à
Nancy [chez Schwarz le pédagogue, pas le Bourbakiste],
Jean-Louis, auteur du livre de statistique utilisé par Piaget, savait tout en
psychologie expérimentale. Et pour le bénéfice de l'anthropogéniste,
sa première femme, la très sage Nantou, travailla sa vie durant à Lovenjoel [lez Leuven], un
Institut pour les patients psychiatriques dangereux ; tandis que sa seconde
femme, Françoise fut une Chinoise authentique travaillant la Clinique à McGili. C'est avec Jean-Louis et Olga Pètre-Quadens,
plus tard physiologiste du cerveau au Japon, que l'auteur collabora à découvrir
les 'corrélations' des ondes cérébrales entre les premiers sourires du
nourrisson, le sommeil paradoxal et les érections génitales néonatales. [A
l'époque, Erik Kandel commençait ses travaux sur la
mémoire chez l'Aplysie. Les cinq éditions des Principles
of Neural Science furent le constant bréviaire de l'auteur depuis trente
ans. Comme aujourd'hui ln Search of Memory lui
aura fait une consolation dernière.]
Grâce à Jean-Louis Laroche
l'anthropogéniste disposa en permanence, depuis
Bruxelles, d'un laboratoire d'éthologie, celui sur le comportement social des
Chimpanzés à l'Université du Québec à Montréal, ainsi que du contact d'un
spécialiste du corps calleux, qui, de la même Université, dirigea le premier
grand codex sur le système nerveux hominien. Le corps calleux est le carrefour
le plus éloquent des performances techniques et
sémiotiques d'Homo. Recevoir de ses nouvelles à travers les meilleurs Abstracts durant
20 ans ne put qu'alimenter des préoccupations physiologiques qu'entretenait déjà un beau-frère,
Pierre Lottefier, frère de Micheline Lo, traducteur
scientifique chez Pfizer Bruxelles, aide inappréciable pour les Logiques de
dix Langues Européennes au "Français dans le Monde". Et le survol des
articles en anglais quand il s'agissait de collaborer à "Dialectics
and Humanism" de l'Académie des Sciences de Pologne,
très anglophone.
1968-2003 Le Ventoux et la Lure. Design-Architecture. Paul Mignot
Parce qu'ils revenaient de
la lumière blanche de la Grèce,
et supportaient mal la lumière tamisée de la Gaume, la 'Lorraine belge',
l'auteur et Micheline Lo demandèrent à la "Tante Guite",
qui de Paris sillonnait la Planète pour sa "Vente des Nations", si elle ne connaissait
pas "quelque chose en Provence". Deux jours plus tard, se signala un "Monsieur Mestrallet" de Forcalquier, et en quelques semaines le
couple avec ses quatre enfants entendait Armstrong débarquer sur la Lune tout
en regardant celle-ci par-dessus le Grand Lubéron. Pour le quatuor familial, la
mystique Terre-Mère fut désormais la terre rouge de
Roussillon, ou plus quotidiennement celle des approches d'Aix-en-Provence. Tous
sursautèrent aux jurons d'admiration des hôtes qu'ils conduisaient "à Sainte-Victoire",
la cézanienne. L'hébergement familial faisait cinq hectares au-dessus d'Apt, à proximité
du Plateau d'Albion, alors Centre de la Recherche Nucléaire française. Lieu "anthropogénisant" par excellence. Un jour ces
coïncidences interviendront dans le Zelsa de Luc Erenvil.
En 1973, Paul Mignot, prix de Rome de
l'Académie de Bruxelles, avec des accointances russes sur les théâtres
transformables du côté de sa femme Galina [il travailla des années au projet
d'un théâtre à Bagdad voulu par Saddam Hussein],
venait de rencontrer un Français qui avait passé sa vie à rassembler une
vingtaine de maisons au Poët-Sigillat, podium sigillatum, promontoire scellé de Saint-Jalle,
XIe siècle, sur la route du Vaucluse au Vercors, pour y créer un Centre
d'Etudes Journalistiques. Paul, qui avait déjà invité l'auteur à l'Académie de
Bruxelles à faire des conférences en visiting pour
des architectes Belges et étrangers, rêvait de créer un Centre de Design-Architecture dans cet esprit. Le vieillard français
passa son rêve à l'homme jeune semi-français. Mignot imagina un Centre à "deux colonnes théoriques" : Lavendhomme autour des mathématiques, dans l'ancienne cure,
et Van Lier autour des sciences humaines, dans une maison dont le principal
mérite était sa porte sud creusée dans un mur de fortification de 1,10 mètre à
double parements, paradis des rats. Pour la macroBiologie,
la Drôme provençale est "La Géologie à livre ouvert". La carte de l'Institut
Français de Géologie, remontant du Barrémo-Bédulien
et de l'Oxfordien au Triasique, figura dès l'entrée de la maison.
Ce fut aussi pour l'anthropogéniste l'occasion de vérifier une des seules lois
sociologiques qui ne soit un truïsme ou une
tautologie, et qui veut que, depuis les origines d'Homo, ce soient des groupes
d'une quarantaine de spécimens novateurs qui aient toujours fait les ruptures
techniques et sémiotiques. Quand ils furent des groupes inférieurs à 40, les
Néandertaliens disparurent. Or, avec ses "quarante inventifs" le Poët-Sigillat était un microcosme. Deux antiques bergers
des Ubacs figuraient régulièrement dans "Géo". Un "touriste" du même lieu avait
dirigé la Revue germano-française du Traitement Thermique, discipline à la fine
addition de l’artisanat et de l'industrie. Par une 'rencontre' désarmante, très ouvert sur l'Allemagne, il était ami intime d'un Juif hyperintégriste
["La supériorité
intellectuelle des Juifs tient à la continuité raciale"], grand spécialiste des
assurances internationales, et qui, par son cousinage presque germain avec
l'auteur ["Vous connaissez la Tante Irène ? - Comment donc, c'est la sœur de
mon Père» , lui rappela sa part de sang juif à partir des Van Lier de Hall, maragnes convertis à quelque catholicisme par des raisons
fructueuses: "Qui a bu boira la Chicorée Pacha".
Nous laisserons l'estimation de ces 17% de judaïcité à plus doctes
étymologistes que nous ; mais elle contribua sans doute à mettre à l'aise
l'auteur dans la logique systémique du Talmud, en contraste avec la
logique systématique de l'Anthropogénie. Toujours à partir des Ubacs, Devas, un Anglais, construisait des îles aux Canaries pour
l'ONU. Au Village-Haut, Jean Claude Goffre non seulement était un artiste créateur très actuel,
mais il avait travaillé au CERN et à l'INSE, et était de surcroît en relation
avec un correspondant assidu de Marcel Duchamp, de quoi confirmer les idées de
l'auteur sur Duchamp et les Quanta. On le voit, partant de la "quarantaine"
du seul Poët on écrirait des centaines de pages si, comme Patrick French, on faisait ici l'allo-auto-biographie
de V.S. Naipaul. A partir des Ubacs, l'été on contemplait les Perséides, en écoutant, sur
un piano desséché par l'hiver du Vercors, Lucienne, une ancienne amie de
Jankélévitch, qui articulait Beethoven beethovéniennement.
Hubert Reeves passa sous
les fenêtres sud du Poët pour aller visiter l'Eglise
de Sainte-Jalle, une de ces constructions qui
l'intriguaient autant que les étoiles de l'Observatoire de Haute Provence. Les
voussures mozarabes de 1100 y montrent un dégradé progressif qui polarise
l'attention vers le chœur [phénomène unique dans le roman, selon son habitude
de prélever, poser et résoudre un problème à la fois]. Etait-ce pour fréquenter
cela, ou simplement pour visiter de vieux parents, que Reeves fit plusieurs
séjours à Remuzat, derrière notre Montagne commune de
Buisseron ? Autant de "paysages philosophiques",
disait le poète et ami Luc Dellisse, venu écrire sur
Micheline Lo. [Dellisse est ce poète cosmologiste
contemporain dont le moteur est "le travail contre la mémoire". "Les images
perdues, perdues, pour qu'elles ne reparaissent jamais, m'apparaissent enfin,
dans leur splendide absence. Alors il ne reste dans la chambre vide que les
chiffres purs de l'imagination.". Ce qui conduisit son Gibier de nuit à
s'ouvrir par Juvénal, "écrivain fleuve", disait Hugo qui opposait "les fleuves
des religions aux torrents des sectes". Cantabit vacuus coram latrone viator [Satires, X, 22].
1986 La retraite. De la vérité à l'exactitude
L'enseignement avait toujours été pour l'auteur un
divertissement mains en poche ; la retraite ne signifia pour lui qu'un manque
d'aération, compensé par les surprises de sa vie de visiting.
Pourtant, passer d'une Université, comme Louvain-la-Neuve, attirant 800
chercheurs internationaux en médecine nucléaire autour d'un Cyclotron où René Lavendhomme aimait à se recueillir avant de partager le
sandwich méridien ; Louvain-la-Neuve aussi où l'auteur avait pour collègue de
l'IAD une musicologue luxembourgeoise, Fernande Rucker,
à laquelle il suffisait de parler de musique hémitonique
et anhémitonique pour recevoir aussitôt une dizaine d'articles en cinq langues
sur le sujet; tomber de cette effervescence universitaire entre les quatre murs
du 48 avenue Ducpétiaux, même si ceux-ci étaient
proches de deux prisons et d'un hospice juif cernés de policiers mitraillettes
levées vers les passants, c'était un changement déroutant.
Mais cette monotonie survint à un moment particulier. Les années 1986, ce fut à peu
près celles
où des groupes hominiens commencèrent à se rendre compte qu'ils vivaient une
révolution radicale. Le passage du prestige de la Relativité à celui des
Quanta.
Or, les Quanta sont de
tout autre nature que la Relativité. Leur idée négative est encore
vaguement énonçable : "Un système sans la causalité classique à équations continues,
galiléennes, newtoniennes. Mais leur idée positive n'admet que deux
voies. Ou bien être un mathématicien au sens fort, faisant une bonne quinzaine
d'heures de mathématique par jour. Ou alors, comme l'auteur, avoir vécu si
longtemps et avoir lu tant de choses sur le sujet qu'on peut, sinon vraiment le
comprendre [ce qui suppose la construction mathématique active], du
moins situer. En ajoutant que, dans les deux voies, les lenteurs ne
suffisent plus, et qu'il faut des renseignements instantanés. Ce qui fait
entrer les nouvelles générations dans un temps prégaliléen,
prénewonien, et glisser à un espace-temps "scalaire". Voire à une Physique moins au-delà de
l'Espace et du Temps qu'en deçà de l'Espace et du Temps. La physique donc, vers
le froid absolu, du Large Hadron Collider du CERN,
sur la frontière France-Suisse. Et, vers le chaud
absolu, des réacteurs nucléaires de troisième et
quatrième génération.
1992 L'Hôtel de Saint-Aignan.
De l'Anthropologie fondamentale à l'Anthropogénie
En 1992, l'auteur fut
invité à faire une journée visiting à l'Institut
International des Arts Plastiques de l'Hôtel Saint-Aignan à Paris, alors dirigé
par Pontus Hulten, ancien directeur de la Section
d'Art moderne du Centre Pompidou. Pour laisser quelque chose à son auditoire,
il écrivit une vingtaine de pages où le mot "Anthropogénie" n'apparaît pas
encore, mais où s'affirme le projet d'une "macroHistoire
par équilibres ponctués".
Ainsi, à partir de ce
moment, les choses se confondent tellement entre Anthropogénie et Biographie
qu'il n'y a plus intérêt à les distinguer. Ceux qui veulent les contenus
les trouvent dans le présent site www.anthopogenie.com. Ceux qui ont la
curiosité de comprendre de plus près l'engendrement de ces contenus ont la
'main page' du même site, qui porte beaucoup de dates de fabrication.
2003 Mort de Micheline Lo.
Les Cosmogonies contemporaines
Avec la mort de Micheline
Lo, en 2003, et la fin de sa co-rédaction, ce ne
furent plus que les Cosmogonies contemporaines, et l'épitaphe à René Lavendhomme, Mathématique et Sexualité, en une
dernière visite à la Théorie des Catégories d'Eilenberg
et McCane. De même Philosophie de la Photographie et
Histoire photographique de la photographie, ces "tours de contrôle
privilégiées" sur le pont du "transatlantique Anthropogénie", donnèrent lieu à
un colloque international organisé à l'Université KUL [Leuven],
avec l'assistance de l'Université de Bologne et
d'autres, par Jan Baetens en 2007. Nous devrions donc nous arrêter
ici. Si toute anthropogénie ne supposait pas une dernière étape.
2009 La sénilité létale. Watching myself
aging. L'extase
La mort fait partie de l'existence des spécimens
hominiens. Une anthropogénie est forcée de la regarder en face, autrement que
dans les romans, les tragédies, les opéras qui la magnifient. De la sénilité
vaillante, bien connue par le "Grand âge, nous voici!" de Saint-John Perse,
elle distinguera donc fermement la sénilité létale.
Celle-ci est cet état où
celui qui toute sa vie tomba trois fois par an, puis trois fois par mois, est
maintenant menacé de tomber, même chez soi, trois fois par jour. Où quand il
veut écrire, son défaut de scription lui fait oublier
des signes ou les pervertit. C'est l'âge où quand le métaphysicien croit dire
quelque chose de raisonnable il énonce "nous", tandis que sinon il prononce "je".
Cette situation sévère a la singularité d'être incommunicable, puisqu'aucun
congénère ne peut plus la secourir ni même le comprendre s'il ne l'a pas
atteinte, ce qui le supposerait dans la même incommunicabilité.
Malgré les cafouillages de
la marche et de la scription, il se peut, comme chez
l'auteur, que la vieillesse létale ait l'originalité de ne perdre pas toute
verbalisation, ni toute syntaxe, ni toute logique, ni même toute mémoire de
travail (Alzeimer peu manifeste), ni toute
déambulation à condition de la sérier, le cerveau ayant à fonctionner
consciemment et parfois oralement en tant que computer digital.
Avec même, et ceci est
très éclairant sur les capacités de démultiplications mentales des primates techno-sémiotiques, alors qu'on ne peut plus faire un pas
innocemment, la capacité d'animer son piano selon Ludwig van Beethoven, et
ainsi de partir de ce monde en une complétude des complétudes, parmi l'auditif
et le visuel de la fugue interminable de la 29ème
sonate pour piano. "La musique est une révélation plus haute que toute
sagesse et toute philosophie".
En effet, Beethoven en
descendant globalement MINEUR-MAJEUR: do dièze, ré,
mi bémol, ré, si bécarre, do bécarre, ré, do bécarre, la, si bémol, do, si
bécarre, do, si bémol / / MAJEUR-MINEUR: la en bas, la en haut, fa, mi bécarre,
ré, do, si bémol, la, ré en haut, construit là des notes qui, dans
l'absolu de la résonance, jouées avec ou sans glissement de frappe, sonnent
toujours justes, c'est-à-dire sont indéfiniment organisables par nos cerveaux primataux [Jacques Chaillet a
insisté sur la primauté anthropologique du mineur
sur le majeur depuis 30.000 ans
de musique], multipliant ainsi indéfiniment la 'evolutionary chance'. Fugue par là divine et diabolique.
Donc sacrée en tout sens. "Romeo and Juliet is sacred and all music is". [Kuft Vonnegut]
C'est le moment de mettre à
côté de son clavier le plâtre Nach
dem Leben de Franz Klein en 1812. On croit avoir
entendu que, dans cet état de sénilité létale, Beethoven aurait murmuré "Plaudite amici, comoedia finita est" [kômos, chant du repas dionysiaque qu'est l'existence, oïdeîn, chanter en chœur]. C'est en tout cas ce qu'avait murmuré
déjà l'empereur Auguste, le politique immense d'Antoine et Cléopâtre. Et
sans doute déjà les scripteurs du 'dialecte C' il y a des milliers d'années. Et
même il y a des millions d'année Homos erectus, lequel, quand il était du Nord
et regardait au Sud, pouvait être frappé par Sirius
et Orion, et, s'il levait le regard et l'index, en
tirer des horoscopes.
Sur ce moment, les Obras
Completas des mystiques espagnols du XVIe siècle
sont explicites: