Mais, pour les
organismes sexués, il faut encore que des organes soient compatibles et même
complémentaires par paire, mâles et femelles. Ce qui a supposé des conditions
exigeantes. (a) Que les organes mâles et
femelles soient au départ un même organe,
qui alors, au cours de l'embryogenèse, donne lieu à deux solutions, chacune
étant l'image gantant-gantée de l'autre. (b) Que
leur coaptation ait du jeu. (c) Que cependant
elle soit suffisamment exacte ; ce qui est
rendu possible par la dynamique tissulaire que nous venons de rencontrer, chez D'Arcy
Thomson et Vincent Fleury. (c) Enfin, que la place
des organes sur les corps soit favorable : le pénis
du taureau doit être assez médian dans son axe pour que, lors de la monte sur
la vache, il ait des chances raisonnables de trouver l'ouverture du vagin de
celle-ci. Ces exigences redoublent avec Homo, chez qui, en raison de la station
debout, est prévue non seulement une monte dorsale, mais un accouplement
frontal et insistant, pressenti par l'accouplement ventral et élusif des Bonobos.
C'est sur ces
exigences que nous allons interroger la mathématique. Et, comme la copulation
sexuelle est assurément une activité biologique première, nous allons nous
tourner vers la mathématique première, à savoir la Topologie. On se rappellera
que la topologie est une géométrie d'avant la mesure, et donc sans étalons de mesure. Les triangles, avec leurs égalités sont les paradigmes de la géométrie (la mesure
de la terre), tandis que les nœuds, où la longueur
des boucles n'est pas pertinente, sont le paradigme de la topologie.
2 – LES ORGANES COAPTATIFS, LA TOPOLOGIE DIFFÉRENTIELLE
AIDÉE PAR LA GÉOMÉTRIE
SYMPLECTIQUE
La
copulation sexuelle n'est pas qu'un assemblage. C'est un chevillement. Et un chevillement avec du jeu (easing). C'est donc dans la topologie différentielle que nous avons
des chances de trouver des croisements entre mathématique et sexualité. C'est elle
qui traite des "catastrophes" (des changements de forme, kata
strepHeïn), et d'abord des catastrophes élémentaires, celles qui comportent une
"singularité" au sens physique, c'est-à-dire "un point de
l'espace-temps où la courbure de l'espace-temps devient infinie"
(Hawking). Déjà les noms des singularités évoquent le sexuel : (1) le pli, (2) la
fronce-faille, (3) la queue d'aronde (versus le simple tenon-mortaise) , (4) le
papillon, (5) l'ombilic hyperbolique, (6) l'ombilic elliptique, (7) l'ombilic parabolique.
Or, depuis la
Médaille Fields de René Thom, dans les années 1950, nous savons que le nombre de
ces items et aussi leur ordre ne sont pas le fruit du hasard. Ils ont une vraie
filiation algébrique ; certains diraient : ontologique. Désignons par
V une variété. Ses catastrophes se construisent à partir d'un "minimum
simple", dont le "centre organisateur" se chiffre par V = x2
et le "déploiement universel" également par V = x2 .
Il faut encore savoir qu'en topologie intervient souvent un produit uv, où u désigne un
monomorphisme, et v un épimorphisme. On
chiffrera alors le pli par V = x3,
pour son "centre organisateur", et V = x3 + ux, pour son
"déploiement universel". La fronce se chiffrera par V = x4 et par V = x4+ ux2 + vx ?
Etc. Ce genre de progression, dont on n'attend pas que le lecteur comprenne le
détail, peut suffire à introduire le tableau ci-dessous, publié par Thom dans
l'édition Benjamin (New York, 1972) de Stabilité structurelle et morphogenèse. Ce tableau a l'avantage de comporter des verbes et des substantifs,
actifs et passifs, qui démontrent à quel point la mathématique colle au cœur de
la Technique et du Langage, et même au Vivant comme tel.
René
THOM, « Stabilité structurelle et Morphogenèse », 1972, W. A.
Benjamin INC, Massachusetts.
Le Vivant, étant
donné sa fragilité sur notre planète où il a surgi très hasardeusement, est
bien obligé de faire simple. On ne s'étonnera donc pas que, pour la copulation
sexuelle, l'Evolution se soit coulée dans les sept catastrophes élémentaires, et
même selon l'ordre algébrique que nous venons d'entrevoir. (1) Le pli c'est le chevillement du concave et du convexe dans son état le
plus naïf (il donne quelque chose de métaphysique à certains paysages
champenois, et explique le sourire de Reims. (2) La fronce-faille est la condition initiale du jeu entre
des pièces (easing). (3) Le gonflement pénien s'élargissant jusqu'au gland dans
le tube du vagin correspond assez au "chevillement en queue
d'aronde », bien connu de la charpenterie,
où il fait couple avec le "chevillement en tenon-mortaise". (4) A
partir de ces trois catastrophes, premières, l'aile de papillon réalise l'effet de poche qu'y lie René Thom par ses verbes "remplir"
et "vider". On peut alors passer aux trois ombilics, et toujours dans
un ordre algébrique simple (ontologique). (5) L'ombilic hyperbolique répond à l'ouverture des cuisses et surtout à leur sommet, les
renflements vulvaires, que Vincent Fleury déduit, par dynamisme cellulaire, du
fait que l'addition des circonférences des deux cuisses est plus grande que la
circonférence du tronc, et déverse donc son surplus de tissu dans ces renflements
en lèvres qu'on trouve également à la naissance des ramifications des arbres ou
des coraux. (6) L'ombilic elliptique convient
assez à l'effet de coin du pic pénien. (7) L'ombilic parabolique conclut le tout coapté par l'effet de bouche.
Attardons-nous alors
sur le chevillement, ou plus généralement sur
l'effet tenon-mortaise, qui est un phénomène tout
à fait remarquable pour l'épistémologie et l'ontologie. Au point que c'est par lui que fut désigné
depuis la Grèce, mais ailleurs aussi, le Technicien entendu comme un
charpentier, dont l'acte spécifique, après le simple assemblage (superposition, juxtaposition de briques de pierre ou de bois), est justement
le rapport tenon-mortaise, voire le chevillement, si déclarativement
omniprésent dans toutes les "tectures" japonaises. L'effet tenon-mortaise
peut être lu en effet en deux directions. (A) Comme
le résultat de deux pièces qui, mises l'une dans
l'autre, font une copulation mâle et femelle. (B) Mais il peut aussi au départ
être saisi comme un bloc unique connaissant deux
possibilités de coupure : une première se contente de le sectionner en
deux par un simple plan, ce qui donne les états successifs : d'abord Un, puis Deux, en une disjonction
exclusive (en tiers exclu) ; mais une deuxième
possibilité découpe le bloc initial selon une courbure qui fait que l'une des
moitiés (englobée) "saille dans" l'autre (englobante), ou encore
que l'englobante "recueille" l'englobée, en une disjonction
inclusive cette fois. Cette dernière n'ajoute ni ne retranche rien. En sorte que le
Deux y reste le Un, et que le Un y comporte le
Deux. Débordant ou plutôt prévenant ainsi l'opposition
du Un et du Multiple. Ou encore celle du Même et de l'Autre, puisque l'Autre
s'y engendre du Même, et le Même de l'Autre.
Et nos trois
ombilics confirment ces caractères. Puisque le premier, l'hyperbolique, donne
la déclosion (féminine), la thèse. Le second,
elliptique, la pénétration (masculine),
l'antithèse, impliquant quelque "négativité" (hégélienne). Le troisième,
parabolique, la bouche, comme produit de
l'ouverture et de la prise, la synthèse.
Weston
Alors la
copulation hominienne, et assurément déjà animale, n'est pas seulement une
opération ou une suite d'opérations biologiques efficaces. Elle propose, comme
l'ont vu beaucoup de métaphyciens, de mystiques et de poètes, une réalisation
cosmologique fondamentale, un acte où l'Univers
non seulement engendre quelques-uns de ses états moments de facto, mais manifeste l'Engendrement comme tel, dans sa généralité et son
initialité, en ce que les Grecs ont appelé la Physis (pHusis, substantif de pHueïn, engendrer), de jure, la Génération
comme génération (qua talis), qui a donné étymologiquement notre
"Physique". En 1967, L'Intention sexuelle de l'auteur a parlé en ce cas de Conjonction majusculée. Les grammairiens ne s'y étaient pas trompés, qui, dans
la Grèce aristotéliciernne, ont conçu tout énoncé langagier sur le modèle de la
copula. Les peuples de l'explicite comme les
Indo-européens, ont exprimé la "copule" par des mots explicites,
comme "esti", "est", "est", "is", "ist",
ou des altérations substantives (en finnois) : en scolastique, "il
fait ceci" est entendu comme "il est faisant
ceci". Au contraire, les peuples de l'implicite,
comme les Chinois, passent la copule sous silence, parce que la conversion-copulation
(le Yi du Tao) leur semble trop fondamentale,
trop allant de soi, pour être thématisée.
En fin de
compte, la Conjonction n'est pas une simple opération, biologique ou mystique, mais
une apparition de l'Acte pur. Elle n'est pas
davantage une idée, ou un concept, ou une image particuliers, mais l'idée de
toute idée, l'image de toute image, la respiration basale de tous les sons et
silences. Dans nos langues gréco-latines un mot peut viser ce statut, celui de Fantasme
fondamental. Le fantasma, où se croisent finitude et infinitude, peut désigner des fantasmes
pluriels et compulsionnels qui imposent leur vortex dans "la fermeture" du vol ou
du viol. Mais il vise aussi, et c'est ce qui nous importe ici, le fantasme
singulier qui crée partout, à l'occasion de tout
objet et de tout acte, "l'ouverture" des liaisons inépuisables. La
Conjonction et le Fantasme, au singulier, sont alors aussi le Symbole (balleïn, sun) initial. Cf., sur le même site, L'intention
sexuelle, chapitre 6. Ou encore Signe et symbole
dans l'acte sexuel, in Facets of eros, Martinus Nijhof.
L'intention sexuelle. Editions Casterman, 1968
Rien de tout ceci n'aurait surpris René Thom, qui aimait rappeler que
sa vocation de topologiste embryologiste lui était venue de sa fréquentation
simultanée, dans son enfance, d'une gare de triage de chemin de fer et des
vitrines d'un musée d'embryologie, en son pays de Montbéliard. Ce qui, plus
tard, fit de lui un aristotélicien inébranlable.
Ces considérations de topologie différentielle ne doivent pourtant jamais
nous faire oublier qu'elles ne tiennent pas compte de la gravitation, facteur
essentiel chez le primate verticalisé qu'est Homo, antigravitionnel. Somatiquement
et cérébralement, avec des contributions considérables du cervelet et de l'ouïe
interne. Une fente vulvaire et une fente buccale, qui répondent aux mêmes
calculs du topologiste Thom, ont une portée physique et phénoménologique
inverse, La fente horizontale de la bouche est happeuse ; elle fait la
crainte diurne et nocturne du crocodile, dont la mâchoire supérieure est
descendante. La fente verticale de la vulve est répandeuse, coaptatrice, ouverture
de porte, centre d'attraction de toutes les attirances. Son magnétisme se
retourne, chez Lao Tseu, en source de toute fécondité ; lieu des
affluences, dit un proverbe chinois. Pour notre thème : mathématique et
sexualité, il ne faudra jamais que la mathématique libidinale perde de vue
sa physique sous-jacente.
3 – L'ATTRACTION COAPTATIVE. LA CARESSE. LA TOPOLOGIE GÉNÉRALE
ET LES NEUROMÉDIATEURS. LA FLÈCHE ET LE MAPPING
Cependant, la
copulation ne requiert pas seulement des organes coaptables, il lui faut encore
un acte de coaptation, résultant d'une poussée coaptatrice : fr. pulsion, angl. drive, all. Triebe, gr. Hormè, lat. libido, voluptas, et cela dans les deux organismes
complémentaires. A quoi répond déjà le fait qu'ils sont le fruit d'une unité embryologique
préalable, comme Platon l'a narré dans son Banquet, en un mythe ancestral des amants comme étant une sphère d'abord complète,
puis se brisant en deux moitiés complémentaires, dont chacune ainsi manque
de l'autre (penia), et recherche sa partie manquante. Ajoutons que pareille poussée
est favorisée par les pentes coaptatrices
que nous venons de parcourir selon les sept catastrophes élémentaires de la
topologie différentielle. En effet, une catastrophe élémentaire est une forme
in actu, mais aussi une
pente in potentia. Autre façon pour la mathématique de rappeler sa physique latente.
Cependant, même
les pentes ne suffisent pas, et il faut cette fois une vraie poussée physiologique,
et pas seulement anatomique. Il s'agit donc d'en appeler au système nerveux, perceptivo-moteur.
Et cela pour des performances qui ne sont plus celles de la vie courante, comme
de se mouvoir, de s'abriter ou de rejoindre et ingérer une proie ; performances
descriptibles une à une. Il s'agit d'un élan général. Avec bonheur, on parle
alors en anglais d'arousal, en exploitant
le préfixe "a-" marquant un mouvement interne et sans but
précis ; en français, de rut pour le
mâle, de chaleurs pour la femelle. Dans
les deux cas, sorte de gonflement généralisé ou de dilution, de fusion déclenchée
et soutenue par des stimuli-signaux : visuels, comme l'arrière train souvent
coloré de la biche ou de la guenon ; auditifs, dans le brame ; tactiles,
dans les reptations et le balancement ; olfactifs, quand les cerfs mâles
de l'Altaï se roulent dans la boue pour que leur musc imprègne leur corps
entier. Dans l'animalité antérieure à Homo, "chaleurs" et
"ruts" sont saisonniers, selon les ressources climatiques. Chez
Homo, dont le corps redressé et anguleux rend les fonctions biologiques
évidentes, voire éloquentes, et d'autre part disponibles techniquement et
sémiotiquement, ruts et chaleurs n'ont pas les mêmes violences impérieuses,
mais sont presque perpétuels.
Khajurâho (Xe-Xie siècle). Temple de Mahadéva. Lion et orante. Léogryphe
Un système
nerveux a deux ressources : des neurones qui
transportent spatialement des informations (des mises en forme, formare, in)
par la propagation d'un potentiel de repos se transformant en potentiel
d'action ; et d'autre part des synapses entre
neurones, permettant de moduler ces transferts et créant alors des colonies
neuroniques, moyennant l'établissement progressif de continuités et clivages. Ce
qui a pour résultat global qu'un système nerveux fait saillir davantage ce qui saille
déjà, et estompe davantage ce qui s'estompe déjà. C'est ce que montrent les
premières computerisations de perception visuelle par David Marr au M.I.T.,
autour de I980. Or, l'arousal coïtal ne suit pas
exactement ce modèle ; il n'est pas d'abord ciblant, mais d'abord généralisateur.
Il suppose donc des réactions synaptiques non pas une à une, ou simplement
nombreuses, mais envahissantes. Et ceci est l'affaire des neuromédiateurs, c'est-à-dire de neurotransmetteurs activateurs neuronaux de proche en proche, et des hormones agissant par bains affectant presque dans le même temps des régions
neuronales entières (dopamine, sérotonine, ocytosine). Les neuromédiateurs
relèvent d'une biochimie extrêmement complexe, que la neurophysiologie commence
seulement à déchiffrer, et qui, même découverte, serait trop compliquée ici et peu
utile. Pour notre sujet, nous retiendrons surtout leurs propriétés holosomiques, par quoi non seulement ils affectent de vastes régions du corps
entier, les zones érogènes, mais contribuent à ce qu'il y ait un corps
entier.
Quelle
mathématique, sinon, intervient dans les ruts et les chaleurs ? Nous demeurons
évidemment dans la topologie, non plus néanmoins la topologie différentielle
dessinant des organes de coaptations avec leurs pentes
coaptatives, mais la topologie générale, ignorant
les distances comme toute topologie, et ignorant même les formes que prend en
compte la topologie différentielle, pour se contenter du voisinage de points, ou tout simplement de lieux. Et pour ces
"lieux", nous ne rencontrerons plus guère que les adjectifs et
substantifs les plus lrges : proche / lointain ; continu / discontinu ; contigu / discret ; fermé (comportant en
soi ses limites) / ouvert (délimité seulement
par son environnement) ; englobant /
englobé ; chemin / impasse.
Et c'est selon
cette topologie générale que les mammifères ont alors progressivement inventé le
mouvement coaptatif qu'est la caresse.
Qu'il s'agisse d'Otaries ou de Girafes, et que le milieu soit marin ou
terrestre, la caresse est un mouvement qui exploite au maximum les cinq ou six
couples topologiques généraux que nous venons d'énumérer. On pourrait dire
qu'elle est la topologie générale tout entière
mise en sensation et réalisation. Et surtout en insistance. Insistance dans l'espace, par ses pressions et ses détentes. Insistance
dans le temps, par ses avances accélérées et ses retardements. Le poids des corps et des organes n'est
jamais oublié. Nouveau retour gravitationnel de la physique sous la
mathématique. Et prééminence du cervelet, lisseur des mouvements.
Alfred
Stieglitz : Torso, 1919.
Metropolitan Museum of Art. N.Y.
Wilhelm Reich
désigna le contenu conscientiel de la caresse comme
"la sensation fondante". Plus épistémologique, Bergson la dit non–informationnelle,
sensation pure, qui n'apprend rien et ne se mémorise nullement comme telle, et
pour autant, dans l'ontologie de l'Anthropogénie,
s'ouvre à la pure présence-absence-apparitionnalité-autotranslucidité. S'il
avait été interrogé sur le même sujet au même moment, Peirce aurait sans doute répondu qu'il s'agissait là d'un cas privilégié,
ou ultime, de sa Firstness, sensation
avant même la perception. Comme Descartes déjà, s'il
n'avait pas eu les pudeurs classiques, aurait pu dire que la caresse sexuelle est
le cas pur de qu'il entendait par pensée,
laquelle pour lui ne suppose nullement le raisonnement, ou la décision réfléchie,
mais est la présentivité, la
présence-apparitionnalité (indescriptible) qui accompagne, chez Homo, certaines
expériences cérébrales attentives, mais aussi certaines réactions cérébrales inattentives,
comme quand une douleur accompagne un choc, ou quand une caresse de mère ou
d'amant entretient un plaisir. Pour Descartes, la "pensée" ainsi
entendue était si propre à Homo, qu'il en priva les "animaux" ; on
dit que Malebranche, cartésien orthodoxe, battait son chien sans vergogne,
puisque celui-ci, bien que son système nerveux montrât toutes les réactions à
la douleur, cependait ne "sentait rien". Sans croire aux "animaux
machines" cartésiens, Hugo employa "pensée" dans le sens
cartésien, et justement dans notre cas : "Qu'on ne sait, tant
l'amour est vainqueur, / Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée, / Si
cette volupté n'est pas une pensée ».
La
caresse sexuelle détient alors de multiples propriétés.
(1) La distance n'étant pas pertinente en topologie, la désignation du
partenaire comme present-absent est un coup de
génie de Shakespeare. (2) La caresse thématise ostensiblement le couple de l'englobant
et de l'englobé, où l'englobement
du sexe masculin par le sexe féminin est souvent compensé par la posture holosomique
de l'englobement du tronc féminin par le tronc masculin. (3) Le couple chemin
/ impasse est exploité
principalement aux articulations des corps, dans les contrastes du glissement
et de l'enfouissement, comme vérification des propriétés mathématiques du
continu. (4) La distinction ouvert / fermé est la plus essentielle
; un organisme, qui est immunitairement un "fermé" topologique,
devient par la caresse un "ouvert" topologique, en ce que sa limite
tend à n'être plus définie par ce qui lui appartient, mais seulement par ce qui
l'entoure ; créant une indécision entre sur-face et endo-face. (6) Dans le
couple continu / discontinu, c'est le continu qui est le thème.
Le mystère du continu
hante Homo mathématicien depuis toujours, en
tout cas depuis la Grèce. Le continu est-il indéfiniment divisible, en portions
de plus en plus infinitésimales, demande Zénon d'Elée, estimant qu'alors la flèche n'atteindra jamais son but, puisqu'il
lui restera toujours une portion du chemin à parcourir. Sa question de Grec
"stéréométrique" (Spengler) a poursuivi l'Occident pendant deux
millénaire et demi, jusqu'à ce que Bergson s'avise que Zénon confondait le
mouvement parcourant avec les espaces parcourus.
Khajurâho (Xe-Xie siècle). Couple enlacé (Maithuna-Murti)
René Lavendhomme, le mathématicien et l'écrivain érotique auquel la présente étude
est dédiée, a fait du continu un thème constant de ses préoccupations. Ces quelques
lignes de ses Basic Concepts of Synthetic Differential Geometry font le status questionis du problème : « Grothendieck insisted on not excluding nilpotent elements
<elements de puissance nulle > in algebraic geometry (...) A decisive step has been achieved by
F.W. Lawvere in
a series of lectures given in 1967. In them he provided an axiom dealing with
the set D of
elements of square zero in a ring R modelling the straight line. If this axiom is
accepted, every function from R to R becomes “differentiable” and thus infinetely
différentiable (smooth). From there, Lawvere lays the foundation of a differential geometry
rehabilitating intuitive way of reasoning wich employed an apparently vague
notion of infinitesimal. Let us now state Lawvere's axiom in the way it has
been formulated by A. Kock. D is so
small that one cannot distinguish the graph of a function from D to R from a segment of a straight line, but D is so big its slope is uniquely determined. More explicitly,
let us put : for every f : D → R, there exists one and only one b € R, such that for every d in D, f (d) = f(0) + d ∙ b.
Ceci, on le
devine, devait faire que les Basic Concepts se
terminent par une trentaine de pages sur les "logiques faibles",
"synthétiques", "intuitives", "intuitionnistes",
donc ne comprenant plus le principe du tiers exclu. Mais aussi qu'ils auraient
pu se terminer sur une remarque titrée : Mathématique et Erotique, tant
certains mots des énoncés précédents renvoient à la phénoménologie de la
caresse : smooth, so small that onne
cannot distinguish, so big its slope is uniquely
determined, an apparently vague notion of infinitesimal. Et cela d'autant plus que les travaux de René Lavendhomme étudiant
porté sur "les ensembles visqueux".
Ce
n'est pas par hasard non plus qu'interviennent Lawvere et Shannuel. Car les
premières lignes de leurs Conceptual Mathematics sont plus qu'allusivement sexuelles, affirmant que les premières
idées mathématiques d'Homo surviennent quand il se rend compte du matching de ses deux mains en symétrie
bilatérale (et l'on sait les échos, pour une oreille anglaise étymologique) de matching
avec mating. Du reste, les mêmes auteurs enchaînent aussitôt sur le mapping, ces "fonctions" mathématiques où une chose s'applique
corps à corps sur une autre, et que les mathématiciens français appellent joliment
: application, ce qui comporte que pareille adhérence
a lieu "pli à pli" (ad-plicare), c'est-à-dire renvoie à la première des catastrophes élémentaires
universelles. Enfin, leur troisième idée d'une mathématique conceptuelle est la primauté, dans toute modélisation de physique galiléenne, du
produit sur la somme, ou de la multiplication sur l'addition, cette dernière, en
théorie des catégories, s'obtenant par le renversement des flèches de la
multiplication.
Dans
une phénoménologie subtile de la caresse, on
pourrait dire que l'espace-temps que celle-ci thématise, par opposition au
simple frottement, est son insistance, dans le continu, sur ses éléments nilpotents. Ce qui la voit plus extatique que fonctionnelle.
4 – LA DURÉE EFFICACE
DE LA COAPTATION SEXUELLE. L'ORGASME.
LE ZÉRO ET L'INFINI,
ET LES NOMBRES SURRÉELS DE CONWAY.
Cependant, cette
vue mathématique sur le "smooth" de la caresse, même après avoir souligné
son caractère extatique, ne nous suffit pas. Biologiquement, il faut encore que
la copulation et sa caresse, après les ruts et les chaleurs, se soutiennent assez
longtemps pour que la substance mâle pénètre la substance femelle ; puis, qu'elles
s'arrêtent franchement pour ne pas perturber la vie courante. Ainsi, les
vivants sexués ont progressivement sélectionné un processus copulatoire durable,
cumulatif, culminant et résolutoire.
Sexuelle, la
caresse sexuelle est déjà prolongée mécaniquement chez beaucoup d'animaux par
le chevillement, tenant à la fois à la
"queue d'aronde" de l'organe masculin et à la crispation de
l'organe féminin, témoin les chiens, ou chez Homo au croisement des glands et
des clitoris qui sont chacun au-delà de l'autre vers le partenaire, formant ainsi un nœud sensible. Mais surtout,
d'un point de vue perceptivo-moteur, la caresse est circulaire ; c'est une réaction de Baldwin, c'est-à-dire que la sensation y
provoque une action, laquelle à son tour réintroduit la sensation, qui
réintroduit l'action, longtemps ou indéfiniment. Bien plus, cybernétiquement,
elle est en rétroaction surtout positive en raison de l'accumulation de neurotransmetteurs
par le cycle de Baldwin. Cumulative, la caresse sexuelle se reprend alors à des
niveaux d'énergie de plus en plus élevés. Dans les années 1970, Masters and
Johnson l'ont articulée en quatre phases : (a) une mise en branle, (b) une
phase en plateau, (c) une pointe de culmination explosive, (d) un craquement résolutoire
en trous d'énergie. La résolution terminale est propre à beaucoup de processus biologiques.
Ainsi la chymotripsine de la digestion finirait par digérer l'organisme qu'elle
est censée nourrir si, à partir d'un certain point, elle ne se déactivait pas,
ou ne s'autodétruisait pas. Dans la caresse sexuelle, ces quatre phases s'appellent
l'orgasme, du grec orgasmos, et sans doute du sanscrit urgan, où
le Webster entend étymologiquement "jus" et "jouissance".
Chez Homo,
l'orgasme va être alors un exemple éminent de reconversion évolutive, d'exaptation, comme quand certaines vessies natatoires sont devenues des
poumons, pour reprendre l'exemple de Darwin, ou inversement, aux dernières
nouvelles, quand des poumons sont devenus des vessies natatoires. Dans le cas
de l'orgasme, on retiendra à tout le moins trois "exaptations", pour
employer ce mot récent, qui depuis I981 remplace le terme primitif de "préadaptations",
assez inexact et construit à la hâte en I886.
(a)
La première exaptation de l'orgasme fut sociale. En
effet, dans les types d'accouplement supposant une intromission, il eut d'abord
pour fonction d'assurer l'adhérence du mâle à la femelle, et en conséquence
l'immobilisation suffisante de celle-ci. Mais, chez Homo, à cette occasion se sélectionna
un orgasme bisexuel, mâle et femelle. On
peut penser, en effet que chez des primates anguleux, indicialisants et
indexateurs, donc techniciens et sémioticiens, l'accouplement devint plus libre,
plus joueur, donc aussi plus interrompable, et qu'il y eut avantage sélectif,
pour arriver au terme nécessaire, à ce que la coaptation soit recherchée le
plus longtemps possible par les deux partenaires. D'autre part, chez un primate
technicien et sémioticien, le mâle et la femelle n'ont guère de raison d'avoir
des conduites trop différentes ; ces dernières ont même toutes les occasions de
devenir mimétiques. Ainsi, si l'orgasme femelle n'est pas une condition sine
qua non de la copulation hominienne efficace, il
est devenu, au moins potentiellement, assez requis pour qu'on parle d'un orgasme
bisexuel. L'ocytosine qu'il libère n'est pas
seulement l'hormone des contractions de l'accouchement, mais aussi de
l'attachement au petit ou au partenaire, en une riche trifonctionnalité.
(b)
La seconde exaptation de l'orgasme fut métaphysique.
Rappelons-nous la distinction épistémologique et ontologique primordiale :
fonctionnements / présence-absence-apparitionnalité-"pensée", déjà
rencontrée plus haut à l'occasion de la caresse. Or, de toutes les expériences
hominiennes, l'orgasme est celle qui chevauche le plus décidément cette distinction.
Il s'initie par des fonctionnements parfaitement descriptibles, tels les trois
premières phases orgastiques de Masters and Johnson, mais en fin de compte ceux-ci
y ont pour effet de nier les fonctionnements ou de les brouiller (notre
imagerie cérébrale montre aujourd'hui la désactivation de voies frontales de l'action
volontaire à mesure qu'il s'installe) pour aboutir à un état-moment de
présence-absence presque pure, incoordonnable, indescriptible. Le langage
populaire ne s'y est pas trompé : en Afrique, cet état est dit simplement "le
bon", tandis que l'Occident a parlé de "petite mort".
Combinaisons de l'apparition et de la disparition extrêmes, qu'on rapprochera
de l'étymologie sanskrite d'orgasme (jus et
jouissance). On lit dans le Cimetière marin de
Valéry : "Comme le fruit se fond en jouissance / Comme en délice il change
son absence / Dans une bouche où sa forme se meurt / Je hume ici ma future
fumée…". Ainsi, chez ce primate métaphysique qu'est Homo, une expérience presque
banale creuse jusqu'aux sources de l'Etre comme tel. Intensément fonctionnante,
mais pour se convertir en méta-fonctionnement. Au point qu'un fonctionnement
trop voulu y entraîne impuissance et frigidité.
(c)
Une troisième exaptation de l'orgasme donna lieu à d'innompbrables états
préorgastiques, proto-orgastiques, para-orgastiques,
couvrant presque l'entièreté des existences hominiennes. En chevauchement entre
fonctionnements et présence-absence, l'orgasme suggéra à Homo d'inépuisables abandons
similaires dans l'alcool, les drogues, les prières, les extases mystiques, les
musiques, les architectures sublimes, les insights scientifiques, les jeux de
vertige, les jeux de mort frôlée. Bref, ce que, dans les années I960, Maslow a appelé
peak-experiences, ces "expériences
de sommet", qu'une enquête lui avait fait rencontrer chez tous les
étudiants de son université que les autres lui avaient préalablement désignés
comme des exemples de "normalité".
Le mathématicien
a-t-il des accointances spécifiques avec ces trois
exaptations? Le champ de la topologie du continu
nous a déjà fait visiter les affleurements du vide dans les éléments nilpotents
de Grothendieck-Lawvere-Kock-Lavendhomme. Mais
le champ de la numération ne doit pas
être oublié non plus. Ainsi, un bon demi-siècle après les nombres transfinis de
Cantor, les nombres surréels de Conway ne dérivent plus de la plénitude de l'Un de Platon et des
Néoplatoniciens, mais d'une coupure entre deux ensembles vides. Mais qu'y a-t-il de moins plein qu'une coupure ? Qu'y a-t-il de
moins plein que des ensembles vides ? Et quelle action plus minimaliste que
de supposer que ces ensembles sont deux, seulement situés à gauche et à droite
de la coupure génératrice. Voilà une écriture si pure que l'infinité infinie des
nombres prend racine dans le vide, ou dans leur
vide. Ce qui, notons-le au passage, convient
parfaitement à la définition anthropogénique de la Mathématique comme "théorie
générale des indexations pures et pratique absolue des index purs",
puisque l'indexation-index est un signe vide (non lié à aucun objet
particulier), et un signe infini (convenant à tout objet quel qu'il soit).
Complicité de l'infini et du néant. Passant l'un dans l'autre. C'est vrai que l'orgasme
est le plus concret, et que les nombres de Conway sont le plus abstrait. Mais
cet abstrait et ce concret ont certains traits nodaux au foyer de toute
épistémologie et toute ontologie.
Arbre de Conway
Tadj Mahal
|
Ø l Ø
Coupure entre deux ensembles vides Conway
|
Eilenberg, constructeur
de la Théorie des Catégories avec Mc Cane, confia à René Lavendhomme, lors de
son dernier séjour à Louvain-la-Neuve avant son accident cérébral, qu'il voyait
dans les nombres de Conway la plus "belle" idée mathématique de la
seconde moitié du XXe siècle. Lavendhomme et Eilenberg avaient un intérêt commun
pour la Chine, et, c'est pendant ce même séjour qu'Eilenberg répéta à l'auteur,
avec insistance, qu'il prendrait pour thème de son cours à Colombia, l'année à
venir, la peinture chinoise. Celle, on imagine, où Kouo Hi, le Song des annnées
1100, a poussé le plus loin les rapports du Plein et du Vide, du Vide plein, du
Plein vide, en cet Empire du Milieu où, quinze siècle auparavant, Lao Tseu
avait fait de la coupure la source sexuelle et orgasmique de toutes choses, au poème
6 du Tao Te King : "Le génie de la
vallée ne meurt pas. / Là réside la femelle obscure. / Dans l'huis de la
femelle obscure, réside la racine du ciel et de la terre. Subtil et ininterrompu,
il paraît durer. / Sa fonction ne s'épuise jamais.".
C'est
sans doute ce genre de rapport du mathématicien au tout et au rien, qui inspira
à René Lavendhomme le poème d'Alphes, recueil de
ses poèmes, que l'auteur jugea le plus approprié à lire sur le cercueil de
l'ami défunt.
C'est en plein milieu de rien que surgit comme par
décompression la nécessité
C'est dans la
nécessité que surgit l'improbable
C'est de l'improbable
que surgit le champ
C'est du champ que
surgit l'extase
C'est de l'extase que
surgit le tout.
C'est du tout que,
comme dans un soupir, surgit le rien.
Le texte fut prononcé
une première fois très lentement, pour qu'on y sente la charge à la fois
mathématique et libidinale des mots-clés : rien / décompression / nécessité
/ improbable / champ / extase / tout / soupir / rien. Sans oublier l'indicatif présent de : c'est, et la sémantique de surgit, propre aux événements "ad-ventureux" de notre "Univers
de chances évolutives", qui a remplacé récemment les "Cosmos"
d'Homo traditionnel. Il fallait faire sentir aussi comment, dans l'ad-venture,
c'est "rien », et non pas
"tout », qui est l'attaque du
poème et le mot de la fin. Mais ensuite, le texte fut redit à la vitesse
ordinaire, pour qu'on éprouve à quel point tout cela, très métaphysique, appartient
au plus banal de la temporalité et de la spatialité de nos existences.
5 – LES LIMITES DE
LA MATHÉMATIQUE DEVANT CERTAINS
PARADIGMES BIOLOGIQUES
Nous venons
ainsi de rencontrer de multiples échos, parfois très serrés, entre sexualité et
mathématique. Ce genre de rapprochement a été particulièrement visité en
France, entre 1970 et 1990, dans le moment d'influence du psychanalyste Jacques
Lacan. Ce dernier considérait l'être humain comme un "sujet", entendu
par lui comme le substrat inconscient du langage, et qui se manifestait dans les
refoulements, les achoppements, voire les forclusions, de ce dernier. Chez le maître
et chez plusieurs disciples, le "sujet" lacanien fut alors figuré et
manié par des événements topologiques, tels les rubans de Moebius (autre effet
de la coupure), les tores, les bouteilles de Klein, et surtout le plan
projectif de Desargues, dont les bords se rejoignent à l'infini, et qui, coupé
d'une diagonale, porta, dans un schéma dit "schéma R", en haut à
gauche l'Imaginaire, à droite en bas le Symbolique, tandis que le Réel hachurait
une bande à gauche de la diagonale chez Lacan, donc dans la partie de
l'Imaginaire, tandis que René Lavendhomme, dans Lieux du sujet (2002), la répartissait moitié sur l'Imaginaire et moitié sur le
Symbolique.
D'autre part, tout
ce qui, dans la mathématique, pouvait exalter le Zéro et l'Infini, ou encore les
paradoxes logiques de l'axiomatisation (le paradoxe de Tarski pour le langage,
de Gödel pour l'arithmétique) était révéré pour célébrer, dans le "sujet"
lacanien, sa faille ontologique et sa fonction de case vide épistémologique, bref
son désir platonicien jamais comblé et pour autant toujours moteur. Dans cette
ferveur de néantisation, les Nombres surréels de Conway, naissant d'une coupure
verticale entre deux ensembles vides et nageant dans une infinité préalable, furent
visités par Alain Badiou dans Le Nombre et les nombres, de 1990, et par René Lavendhomme dans Lieux du sujet, de 2002.
On doit alors
bien marquer que les rapprochement que l'Anthropogénie fait entre sexualité et mathématique sont d'une nature très
différente. La mathématique y est, rappelons-le encore, la théorie générale des
indexations pures et la pratique absolue des index purs (déchargés et
désindicialisés) ; par là s'appliquant idéalement à la physique, science
des indexables purs de l'Univers. Et c'est surtout en tant qu'indexatrice que
la mathématique est alors en fraternité avec la sexualité coaptatrice, où surabondent
également les éléments indexalisants, "fléchés" ou
"fléchants", dans les formes des organes coaptateurs, dans leurs pentes
de coaptation, dans l'infinitésimalité (nilpotence) de leur caresse, dans le
diffus des ruts et des chaleurs, et enfin dans le bord à bord transgressif de
l'orgasme entre fonctionnements et présence-absence-apparitionnalité-autotranslucidité-"pensée".
Tout cela étant plus écrit, plus synchronique, dans la mathématique ; plus
rythmique dans la sexualité, où le rythme est extrême sous deux aspects. Chaque
partenaire n'a plus à assurer son rythme comme un "fermé"
topologique, mais à le recevoir de l'autre comme un "ouvert"
topologique, selon des propriétés anatomo-physiologiques et mathématiques de la
catégorie du "dual", de la Dyade, d'une Dyade triadique. Cette intercérébralité
rythmique ne concerne pas que des fonctionnements triviaux, mais les
chevauchements de la distinction universelle initiale : fonctionnements (descriptibles) / présence-absence-apparitionnalité-autotranslucidité-"pensée" (indescriptibles).
Cependant, pour saisir
correctement les confluences entre mathématique et sexualité, sur
lesquelles nous avons insisté jusqu'ici, il est également indispensable de reconnaître
les limites de la première dans ses approches de
la seconde. Nous en retiendrons trois. (a) L'incapacité de la mathématique topologique,
symplectique et catégorielle à comprendre les formations par (re)séquenciations
dynamiques de la Biochimie, ainsi que les formations
par (re)séquenciations des connexions et clivages neuroniques de la Neurophysiologie. (b) Du même coup, son incapacité à typer la
"chance évolutionniste » selon G.T. Eble
(cf infra). (c) Enfin, son mutisme devant l'Evénement comme événement que
serait éventuellement l'Univers.
Or, ces trois
aspects sont décisifs dans la sexualité hominienne. Laquelle est : (a) Vu
son rôle dans la génération, l'exploitation et la réalisation la plus
ostensible de la reséquenciation dynamique aminée biochimique pour la persévération et la variation des espèces vivantes (suivant
les copies et leurs sautes ADN, ARN, acides aminés, protéines) ; puis, des reséquenciations
neuroniques qu'elle pousse au sommet des
Vivants dans les chevauchements orgastiques entre fonctionnements et
présence-absence-apparitionnalité. (b) L'expérience la plus pointue de la chance
évolutionniste, versus la chance probabiliste
(cf infra). (c) Eventuellement, l'événement-clé
d'un Univers-événement.
5A. La mathématique vs la (re)séquenciation comme événement imprévisible
Un jour que l'auteur était en train de feuilleter un Atlas de Cytologie des années I970, qui avait une éloquence particulière du fait de
ses illustrations en noir et blanc, survint René Lavendhomme. La question était
inévitable : Qu'est ce que le mathématicien peut dire là-dessus ? La réponse fut : Rien. Un atlas de cytologie
organise des vues de l'intérieur des cellules, donc de ces organelles que, depuis 1939, on appelle "ultrastructures", parce
qu'on ne peut les apercevoir avec un microscope ordinaire. Assurément, pareilles
illustrations ne donnent pas à voir les protéines constitutives des organelles,
et moins encore les acides aminés qui forment les protéines par leurs séquenciations
et reséquenciations dynamiques (selon des liaisons biochimiques). Mais les
formes (Gestalt) aperçues sont à la fois si improbables et si typées que, quand
on connaît par ailleurs leur mode de formation (Gestaltung) reséquenciatrice,
on la devine, la "voit" presque, comme en marge. Au premier regard,
mon visiteur avait senti qu'il n'était plus là chez lui. Cela échappait à la
mathématique, du moins à la sienne. Nous y reviendrons dans un instant.
Un autre jour,
René Lavendhomme survint tandis que l'auteur parcourait un numéro de la
"La Recherche" où se donnait à voir, dans son boccal, le cerveau
d'Einstein, avec sa bizarrerie dans des voies et relais temporaux gauches qui
concernent les représentations spatiales, voire spatio-temporelles, disons quadri-dimensionnelles.
Cette fois, René n'eut presque pas un regard. A table, il confia qu'enfant il
était tombé d'une armoire, ce qui avait mis son cerveau dans un état tel que le
médecin avait souhaité à ses parents qu'il ne survive pas. Ce qui pouvait expliquer
biographiquement sa répulsion pour le spectacle des neurones cérébraux. Mais,
dans le même numéro de "La Recherche", une mathématicienne
chevronnée, qui n'avait pas connu les mêmes déboires, frôlait le sarcasme. N'est-ce
pas que, autant que les formations aminées, les formations cérébrales, lesquelles
travaillent par connexions et clivages biochimiques au gré de quelque hérédité
et de beaucoup de circonstances historiques, déroutent elles aussi la modélisation
mathématicienne ?
Pourtant, depuis
I950, les mathématiciens n'ont pas ménagé leur peine pour modéliser tant bien
que mal l'événement en tant qu'événement.
A la question : "cette transformations-ci, est-elle vraie ou fausse ?", la théorie des catégories, dans son chapitre des faisceaux, invite à ajouter : "où ?" et "quand ?".
Pour illustrer ce point, dans la deuxième section de Schize et Guise de Dominique Bourn, René Lavendhomme a
relu les Studien über hystérie de Freud à la
lumière de la Logique locale, pour
montrer que les patientes, au moment de consulter, se situaient dans un
faisceau de "lieux" aux exigences peu compatibles, et qu'alors
elles avaient guéri brusquement, progressivement, ou jamais, selon leur
capacité de repérer ces lieux, puis éventuellement d'en émigrer. Même
préoccupation aussi du mathématicien pour déterminer d'où cela s'observe et
d'où cela se parle. Déjà très malade, en août 2002, René communiqua à l'auteur diverses
rédactions d'un texte intitulé A partir des quatre discours selon Lacan : (1) le discours du Maître, (2) le discours de
l'Universitaire, (3) le discours de l'Hystérique, (4) le discours de
l'Analyste, répondant aux nouvelles lumières de la Théorie des catégories comme
Théorie des Topos, c'est-à-dire des
Univers de discours.
Néanmoins, la
page finale de Lieux du sujet manifestait, dès 2001,
une certaine pierre d'achoppement de toutes les modélisations mathématiques de
l'événement comme tel. Nous y lisons en effet que, à cette fin, "une
suggestion qui serait à explorer et que je ne pose pas comme acquise, serait de
voir les "objets" (catégoriels) comme
simplement les entiers, et les flèches (catégorielles) comme des enchevêtrements. Or, va encore pour ces "flèches", et plus précisément pour ces "enchevêtrements", sur lesquels l'auteur avait attiré
l'attention du mathématicien lors des relectures des épreuves de l'ouvrage.
Mais que dire des nombres entiers qui
seraient les "objets", sans
doute pour leur neutralité, leur inertie, leur anti-dynamisme, alors que, dans
le cas de la formation des protéines par les acides aminés, ou encore dans
celui des apprentissages par les (re)connexions et les (re)clivages
neuroniques, l'événement ne consiste pas seulement en déplacements d'éléments neutres
dans la séquence, mais justement d'éléments bourrés de potentialités chimiques multifactorielles, tels les liens covalents, ioniques,
hydrogènes, hydrophobes, sans compter les interactions de Van der Waals. Les "objets"
réels ne sont-ils pas en ces cas aussi fléchants que les "flèches".
Le mathématicien ne se faisait pas d'illusions, qui, plus haut, dans les mêmes Lieux
du sujet, avait fini ainsi ses considérations sur la topologie :
"Nous n'avons pas un dessin de l'univers. La situation est plus
compliquée. Nous n'avons pas tenu compte du temps." Pour l'anthropogénie :
du vrai temps, de celui de la chance évolutionniste, dont il nous faut parler
maintenant.
5B. La mathématique vs la chance évolutionniste
En 1999, G.T.
Eble faisait observer, dans "Paleobiology 25", que, depuis l'Evolution
par sélection naturelle de Darwin, et surtout depuis l'Evolution comme équilibre
ponctué de Gould et Eldredge, la notion de "chance" couvre deux
réalités très différentes : On the Dual Nature of Chance in Evolutionary
Biology and Paleobiology.
Les voici. (A) Dans
la "chance probabiliste", que l'on
connaît depuis presque toujours, et à tout le moins depuis l'alea (dé) romain, et le al-hzrd (dé) arabe, on connaît d'avance le
nombre des faces du dé, et donc le nombre de chances (cadentia, chute) possibles ;
ce qui a permis à Pascal d'inventer le calcul des probabilités et d'initier la théorie
des jeux, en précisant comment, dans une partie interrompue, on pouvait "répartir
les gains" ? (B) Au contraire, dans la "chance évolutionniste
", celle qui intervient, par exemple, dans les
reséquenciations des acides aminés formant des protéines, ou dans des neurones cérébraux
au cours de certains apprentissages ou de certaines remémorations, on ne
connaît pas au départ les "éventualités" du résultat (de la
protéine ou de l'appris résultant). Et pourtant, quand le résultat est donné,
par exemple telle protéine avec telles propriétés, telle connexion neuronique
nouvelle fomentant tel concept complexe nouveau, on peut savoir, sans mystère, de
jure sinon de facto,
la suite des événements qui ont induit le résultat. Et, à cet égard, l'on peut
à nouveau considérer la sexualité, surtout si on n'oublie pas ses exaptations innombrables
(dans la danse, la musique, l'image, les drogues, les tectures) comme le champ le
plus favorable de la chance évolutionniste d'Eble.
On mesure alors
à quel point le mathématicien est également mal à l'aise à ce propos. Tournons-nous
cette fois vers F. William Lawvere, cité plus
haut à l'occasion des éléments nilpotents dans le continu. Et qui, du reste,
anthropogénise en général, et touche même assez directement notre sujet, nous
l'avons vu plus haut. Alors, un concept catégoriste devait particulièrement le retenir.
En effet, si la théorie des catégories est un "structuralisme des transformations"
(Lavendhomme), sa fine pointe est sans doute l'adjunctness où il ne s'agit plus seulement de passer d'état en état au sein
d'une même catégorie, mais de considérer des "foncteurs" indexant des
transformations d'une catégorie à une autre, pointant alors des "transformations
naturelles" (Eilenberg et Mc Cane) à identité près, puis à équivalence
près, enfin à comparabilité près (Lawvere), ou à
reflet près (Lavendomme). Occasion où le Même, sans
cesser d'être le Même, n'est plus vraiment le Même, mais innove, qu'on aille de
la catégorie C à la catégorie D, ou inversement (ce qui fait qu'on parlera "d'adjoint à
droite" et "d'adjoint à gauche"). Bref, où le Même comporte
de l'Autre, moyennant quelque "négativité hégélienne" (Lavendhomme).
A condition de respecter la "situation mathématique", c'est-à-dire que
pour tout A de la catégorie C, et pour tout B de
la catégorie D, certains diagrammes commutent.
N'est-ce pas là le summum des transformations naturelles (c'est-à-dire sans
trop de conditions préalables), qui furent le propos initial d'Eilenberg et de Mc
Cane quand ils se mirent à travailler sur ce qu'ils appelèrent d'abord
longtemps "the stuff", et qu'ils eurent un jour le toupet
épistémologique et ontologique d'appeler "catégories", en mémoire
d'Aristote ?
Peut-être. Mais
ne voilà-t-il pas que, pour mettre au concret ce qui se passe en ce cas, Lawvere
se prit à invoquer la notion de dialectique. Or, ce avec quoi rompt radicalement la chance évolutionniste, qui
inaugure décisivement l'événement dans le MONDE 3, c'est bien la Dialectique,
ce baroud final du MONDE 2, qui valut à Hegel l'honneur d'être considéré comme
le plus puissant et le plus malhonnête des philosophes. En fait, la dialectique
hégélienne, et a fortiori engelsienne, qui n'est pas oubliée par Lawvere, aura
été la tentative ultime pour faire entrer jusqu'à la contingence radicale de l'Histoire
dans des formes de nécessité, du moins à grande échelle, et même à moyenne
échelle. Assez même pour qu'en gros la "force fonde le droit"
(Hegel). Alors que la chance évolutionniste met en déroute toute justification en
tous ordres, et donc aussi la justification du pouvoir, s'il est mauvais, et tout
autant s'il est bon. René Lavendhomme s'étonnait déjà des assurances sur l'Adjunctness, dont bizarrement Lawvere lui-même annonce qu'il la passera sous silence
dans ses Conceptual Mathematics.
Et ne quittons pas le malaise du mathématicien devant la "chance
évolutionniste" sans rappeler que René Thom, que nous avons évoqué plus
haut pour sa très éclairante topologie différentielle des sept catastrophes
élémentaires, crut bon, dans une séance solennelle à l'Académie des sciences, d'inviter
ses auditeurs à abandonner les recherches sur la Biochimie, donc sur l'ADN et
les ARN, parce que ces résultats-là n'étaient pas, à ses yeux, mathématiquement
représentables, intelligibles, descriptibles.
Parmi les
mathématiciens, Poincaré distinguaient les géométres et les algébristes.
Sachant qu'il y a un cerveau droit et un cerveau gauche, ainsi que des "Analog
computers", des "Digital computers", des "Hybrid
computers", trois entrées différentes dans le Webster, l'Anthropogénie
préfère dire : des mathématiciens analogisants, digitalisants et hybrides.
Lavendhomme et Thom se rencontraient souvent, mais ne s'appréciaient guère. Je
dis un jour au premier, qui était insensible à la musique, qu'il
digitalisait ; tandis que Thom, qui écrivit des choses pertinentes sur la
danse, analogisait. Le silence qui suivit fut, je crois d'approbation. Thom, du
reste, estimait que la seule mathématique vraiment satisfaisante était à trois
dimensions. Il cessa d'être mathématicien par dégoût des calculs trop long. "Un
mathématicien est un scripteur, ça fait par jour sept heures de calculs, dont
d'écriture, comme un pianiste fait sept heures de piano". Et l'initiateur
de la Théorie des catastrophes (le mot n'est pas de lui) se tourna pour finir vers
l'embryologie d'Aristote. Le monde est petit. On se souviendra que D'Arcy
Thompson, inspirateur de Thom et de Fleury, fut d'abord un traducteur
d'Aristote, ce biologiste, continuateur réaliste de Platon, ce mathématicien.
5C. La Mathématique vs l'Univers entier
comme événement évolutif, "ad-ventureux". L'étonnement admiratif
Dans l'admiration
de Stephen Jay Gould pour Darwin intervient, en premier lieu, la capacité de ce
dernier à saisir les Vivants comme le Vivant, comme un seul gigantesque phénomène
global, avec une cause dernière simple et
unique : des variations incessantes, et leurs sélections par
des environnements changeants. L'équilibre ponctué gouldien-eldredgien participe
de la même saisie unitaire. Seulement, il prend en compte deux propriétés des
Espèces encore mal dégagées du temps de Darwin : (a) leur persévération
sur des périodes longues, souvent de trois ou quatre millions d'années ; (b)
le fait que, en raison des cohérences groupales (spécifiques), il n'y a guère
que sur la périphérie des groupes d'une espèce que des variations puissent
s'installer, donnant lieu pour finir à une nouvelle espèce, qui dans ses
contacts avec l'espèce de départ, ou bien cohabite avec elle, ou bien
l'élimine, ou bien la modifie en l'infiltrant petit à petit. Ceci est pas mal suggéré
par le terme "équilibre ponctué" (la première idée fut d'Eldredge, le
terme fut de Gould).
On voit alors
que pour l'Anthropogénie, qui se propose de comprendre
l'émergence d'Homo sur sa Planète, mais qui également s'interroge ultimement
sur les mœurs de l'Univers dont Homo est un état-moment, le chance évolutionniste, darwinienne ou gouldienne, fait une rupture radicale avec toutes
les cosmologies et cosmogonies traditionnelles. Homo jusqu'à hier n'a jamais
conçu que des formations (Gestaltung) par modelage, ou plasticité (carving). Entre
I900 et 2000, les formations par (re)séquenciations dynamiques (aminées ou
neuronales cérébrales), qui rompent radicalement avec le modelage et la
plasticité, sont la découverte épistémologique et ontologique d'Homo la plus neuve, la plus troublante. Spéculativement, mais
aussi pratiquement. Si tout résulte d'actes de modelage, l'existence consiste à
obéir ou désobéir (Shatan, Satan) au principe modeleur, peu importe que
celui-ci soit animé (Yaweh, Allah, Deus) ou inanimé (Grand Axiome, Raison,
Man-yu). Par contre, un Univers de chance évolutionniste ne saurait être obéi, ni
désobéi, puisqu'il est congénitalement et en fin de compte imprévisible par sa Physique,
sa Biologie, sa Technique, sa Sémiotique. Il ne peut qu'étonner, et être alors révulsif
ou admiré pour sa spontanéité, laquelle prend à cette occasion son sens précis
de source (spons). Et la sexualité, qui est l'expérience la plus radicale des reséquenciations
biologiques et intercérébrales, avec leur étonnement, en est donc bien l'expérience
exemplaire, ou culminante.
6. LES PRATIQUES PRÉ-ORGASTIQUES, PARA-ORGASTIQUES,
POST-ORGASTIQUES
La sexualité est
si fondamentale dans l'existence humaine, et sans doute aussi dans l'Univers,
qu'Homo technicien et sémioticien en a créé, à côté du rut et des chaleurs devenus
constants depuis les Chimpanzés Bonobos, d'innombrables équivalences, annonces,
souvenirs et allusions dans sa vie la plus quotidienne. Et cela d'autant plus
que, nous venons de le voir pour les mathématiques, les cosmologies (scientifiques) échouent à l'étreindre pleinement, appelant alors
des cosmogonies (artistiques,
rythmiques).
6A. Les arts ancestraux
Avant de passer
aux cosmogonies sexuelles contemporaines, (re)séquenciatrices, partons de
quelques rappels ancestraux. Chez le Primate anguleux, la maison Dogon répartit
ses fonctions ménagères à angles stricts "comme les organes d'un homme
couché sur le côté et procréant" (Griaule). Dans les cavernes paléolithiques,
de même que dans les innombrables constructions hypogées où règnent les ombilics
paraboliques, elliptiques, hyperboliques, les images dominantes sont des vulves
explicites à Chauvet, implicites dans les quadrillages de Lascaux. Partout, mais
surtout à l'Est Bornéo, pré-néolithique, l'organisation des mains donne à voir
le "matching", le "mapping", l' "application"
mis au principe de la mathématique (et de la sexualité ?) chez Lawvere. Le
cadrage néolithique recouvre toute l'Old Europe de Marija Gimbutas de figures
conjonctives cette fois décidément géométriques. En Egypte, sous les géométries
et les calendriers des pyramides, le pouvoir des empires primaires est coïtal
jusqu'à l'inceste, et le papyrus Harris 500 annonce nos remarques sur la suffusion hormonale de la caresse holosomique et sur la fente médiane verticale originelle : "L'amour de toi pénètre tout mon corps, / Ainsi que le vin se mélange à l'eau", "Au château de ma belle, / La porte est au milieu de la demeure, / Les deux battants ouverts." Si la vulve géante du Tadj Mahal est généralement considérée
comme le monument le plus abouti d'Homo, c'est que les architectes de toute
l'Asie qui furent convoqués pour le construire sur le corps d'une princesse chérie
morte en couche l'ont organisé a partir d'un coupure verticale centrale jusqu'à
deux ailes chanfreinées en lèvres vulvaires, en une solution unique dans l'art
moghol, et que nous avons rapprochée plus haut de la coupure entre deux
ensembles vides qui porte les nombres surréels de Conway : "matrices
d'Allah, le matriciant, le matriciel, répète le Coran".
On le voit, même
dans les cosmogonies rythmiques, la mathématique (cosmologique) n'est pas
oubliée. Le choix des perspectives (mathématiques) est déterminant pour les
érotiques ; ainsi, les perspectives divergentes du Japon et de la Chine, très
topologiques, et la perspective géométrique convergente de l'Occident ont déterminé
trois épistémologies et ontologies de la Coaptation sexuelle spatialement et
temporellement. L'Origine du Monde de Courbet
n'est pas envisageable sans le point de rencontre des lignes de fuite derrière
la surface, symétrique du point de rencontre des lignes de voyeurisme devant la
surface.
6B. Les cosmogonies (re)séquenciatrices
contemporaines
A côté de toutes
ces formations ancestrales par plasticité, ou modelage, la découverte des
formations biochimiques par (re)séquenciations (aminées et neuroniques),
devait, depuis I970, provoquer des cosmogonies révolutionnaires. Si
révolutionnaires que l'Anthropogénie leur
consacre une section entière : Cosmogonies contemporaines, à laquelle le lecteur est invité à se reporter. Les différents
arts n'ont pas réagi sans ordre.
Evidemment, le
premier déclenchement dut avoir lieu en musique, art (re)séquenciateur par nature, et ostensiblement mathématique. Musique
savante chez Steve Reich, mais en même temps phénomène populaire dans des
cabarets de Chicago, aussitôt mondialisé sous le nom de "musique
répétitive" par les radios portatives. Symptomatiquement, quand les
biochimistes Dressler et Potter, dans Discovering Enzymes, en I991, tentèrent de thématiser les nouvelles épistémologies et
ontologies impliquées par les re)séquenciations aminées, ils finirent par s'exclamer
: "There is something musical in
it". Le geste de la danse avait, à cet égard, des ressources semblables à
celles de la musique, et Rosas, filmé par Thierry
De Mey, suivit bientôt.
Par contre, quand
la peinture de Micheline Lo, de I980 à
2000, prit pour thème central les formations vivantes en tant que (re)séquenciations
dynamiques, d'abord neuroniques ("Je peins le paysage cérébral"),
puis aminées ("Ceci appelle une nouvelle logique"), elle n'avait guère
encore été pressentie que dans les Alphabets et
les Chiffres de Jasper Johns (1955) et dans les Albatros
de Stella (1970). Ainsi que, thématiquement cette
fois, dans les Propositions de David Lipszyc (I970).
Quant à l'architecture, en raison des lourdeurs de son matériau, qui découragent les expérimentations
hasardeuses, elle dut attendre 2000, avec Frank Gehri, Saha Hadid et quelques
autres, pour offrir à l'habitant actuel une manière d'habiter (re)séquenciatrice,
qui pourtant ne perde pas trop l'effet enveloppant de matrice continuée que le
mammifère hominien, ayant passé dix mois lunaires dans une matrice, attend de son
habitat depuis toujours. Cet effet avait été totalement oublié, à la fin du
MONDE 2, dans les architectures remodelables des années 1960-1970.
6C. Les vertus de la photographie
Cependant, depuis I980, la photographie, art assez économique pour autoriser les explorations risquées, a permis à Pierre Radisic, photographe éminemment cosmogonique, de visiter la "chance évolutionniste"
sur cet objet photographique par excellence qu'est la peau : peau des visages appariés (Les couples), peau du ventre rugueux africain (Lucky) et du ventre lisse asiatique (Marilou), peau des écorces d'arbres (Waldszenen), peau des corps célestes (Heavenly Bodies), où des lentigos de corps de femmes sont en mapping, matching,
mating, multiplication galiléennes, adjunctness, avec les constellations du
Ciel, où les chances évolutionnistes croisent cette fois, dans leur topologie
générale et différentielle, le plus voisin et le plus lointain, la Galaxie.
Ainsi, pour
notre étude, nous avons eu la bonne fortune de disposer des récentes Coaptations
orgastiques où Pierre Radisic vient de réaliser une
sorte de Khajurâho contemporain. En effet, la photographie
y est digitale, et peut donc, si elle le souhaite, y revêtir des caractères de
l'écriture mathématicienne, laquelle n'a
plus à obéir à la linéarité des écritures langagières, soumises à la linéarité
de la parole, mais est largement multidirectionnelle. D'autre part, le blanc écrit là est ce blanc d'annulation, ce blanc quantique, que Mc
Cay a rencontré pour la première fois en I905 quand il cessa d'aligner les
lignes et les colonnes de ses vignettes des Dreams of Rarebit Fiend, et que, dans Little Nemo, il les mit
en décalage, faisant ainsi que, sautant de l'une à l'autre, l'événement maintenant
devienne, à chaque blanc franchi, un ex-venire (venir
hors) radicalement neuf, "une chance anticipativement évolutionniste". D'autant que, dans la photographie digitale, la néantisation du blanc est
renforcée par l'impondérabilité du papier photographique, si lisse et
désubstantialisé qu'il n'a plus les moiteurs et senteurs qu'avait celui de la
Sunday page du New York Herald où parut le Little Nemo original.
Pierre Radisic, Khajurâho
Khajurâho. Façade du temple Kandariya
Grâce à ce
medium, Pierre Radisic a pu alors élever les deux corps, qu'il avait déjà orgastiquement
coaptés dans ses Pornscapes (en réalité "Eroscape"), à la généralité d'un événement d'Univers., Evénement transcendant, car chevauchant
la distinction ontologique originaire : fonctionnements / présence-apparitionnalité.
Mais surtout événement transcendantal,
car se donnant comme appartenant à tout phénomène en tant que phénomène
d'Univers. A quoi Radisic était déjà incité par le caractère habituel de ses
prises de vues, plus michelangélesques (Jugement dernier) que léonardesques (Bataille
d'Anghiari). A condition de ne plus retenir dans les corps que leurs parties
coaptatives ; donc en y supprimant les têtes, toujours
"expressives". Puis, de recouvrir les corps des lignes anamorphiques
de leur embryologie géométrique chez D'Arcy Thompson, ou tissulaire (à partir
de la crêpe bastulaire) chez Vincent Fleury. Enfin, de disposer ces corps en colonnes
et en lignes mais sans jamais les cadrer ni fermer de nulle part, pour que tout
continue d'appartenir aux "ouverts" d'un espace topologique. Si
bien que ce Khajurâho contemporain apparaisse comme l'événement-clé de l'Univers
évolutif. Voire comme l'Univers évolutif lui-même en tant qu'Evénement et
Ad-venture, en son accomplissement biochimique et
intercérébral premier et ultime. Objet de tout Etonnement (ex-) et
Admiration (ad-).
Cependant, chaque art a des bornes. La photographie digitale comporte une maîtrise du photographe qui lui interdit les soumissions à la nature préalable et proprement accidentelle qu’ont les lumières de mousson des accouplements du Khajurâho indien, ou celles en endoface de Stieglitz sur le corps de sa femme O'Keefe, ou encore celles des couleurs-traits-coaptations-gestes
constrictivement mexicaines, de Micheline Lo. Et que font entendre, évidemment,
les opulence sonores de Steve Reich. L'expérience d'Univers complète
s'obtiendrait donc sans doute alors en regardant le Kahajurâho d'Anne Bernard
et de Pierre Radisic sur le fond d'un grand Chemin des écritures de Micheline Lo, tout en laissant notre regard glisser par moment vers
un tirage d'un des nus d'O'Keeffe par Stieglitz.
Les Telehim de Steve Reich fourniraient la
musique de fond. Les murs et les meubles seraient conçus par Saha Hadid. Les jardins
autour de la maison étant tracés par Frank Gehri.
6D. Le recours ultime de la littérature
Néanmoins, le
langage, parce qu'il peut parler de tout et de lui-même, qu'il peut même exprimer
ses limites, a sans doute ici, comme toujours, le mot de la fin. Et nous allons
ouvrir Alphes de René Lavendhomme (2001). Le premier
titre avait été : Lettres à thèmes. Des amis
trouvèrent cela un peu sec, et songèrent à Aleph.
Mais Aleph était déjà pris par Borges. Micheline
Lo proposa Alphes, qui fut retenu. On peut
regretter "Lettres à thèmes", sec mais d'une extrême exactitude. Et
qui accentuait un verset du poème final : "Laisse la lettre rire."
Alphes est pour le français, vocalique, la Phonosémie que Mallarmé avait construite
pour l'anglais, consonnantique, dans Les mots anglais, de 1877, créant ainsi ce qu'il déclarait être "une nouvelle
science", la vraie Linguistique vivante, qui fut oubliée durant presque
tout le XXe siècle, à cause du projet des machines à traduction, au profit de
la linguistique structuraliste exsangue et morte, et finissant elle-même, vers
I980, par reconnaître qu'elle ne voyait toujours pas comment un langage
signifiait. René Lavendhomme, sourd à la musique, mais ayant une oreille
exquise pour la phonosémie, ne fut jamais touché par la linguistique
structuraliste. Ainsi, c'est le Sonnet des voyelles de Rimbaud, invention volontairement subjective et adolescente, qu'il
convertit, dans Alphes, en l'Aleph revisité :
René Lavendhomme. Alphes
Pour faire une
érotique de mathématicien, il n'y avait plus alors qu'a combiner avec
l'écriture et la lecture langagières, linéaires comme le langage, la vertu
propre de l'écriture et de la lecture mathématiques, multidirectionnelle, gauche/droite, haut/bas, comme Lavendhomme l'avait fait rermarquer
en 1980 dans un article de Litura. Voici d'abord, pour éveiller l'œil, un
brouillon d'une de ses études sur les homéomorphismes :
Alors, pour
"structurer" un couple sans chaleur : Rimes et rien entre
un et deux, nous trouvons, à la page 28 d'Alphes
ceci, où certains reconnaîtront le bouclier (étoile)
de David, mais en lecture mathématicienne. Là où le Magen David met, à la mazdéenne,
le triangle pénien, pointe en haut, dans le
triangle vulvaire, pointe en bas, ici les triangles se juxtaposent sans
médiation, se touchant par la pointe : Vague / Drague / Pas /Las /// Piste / Triste /Fil / Vil :
René Lavendhomme. Alphes
Cependant, comme
un jour le poète tenait Alphes en main, l'auteur
lui demanda s'il y avait un poème qui accomplissait son dessein de façon
exemplaire. Sans hésitation, il désigna la double page 24-25, dans la section justement intitulée STRUCTURE. Page double, c'est-à-dire deux pages n'en composant
qu'une, synchroniquement, multidirectionnellement, comme dans Un coup de Dés
jamais n'abolira le Hasard, chant du cygne de Mallarmé.
Ici le poème est sans titre. Et cette fois la chaleur circule. Par la vertu
d'une sorte de Trois entre Un et Deux.
Stéphane Mallarmé. "Un coup de Dés jamais n'abolira le Hasard". Editions La Table Ronde
Pour le
mathématicien poète, l'écriture-lecture mathématique et même littéraire
multidirectionnelle fut tellement le "réel ", en deçà de la banale "réalité " directionnelle, maniée par la lecture descriptive et narrative, que,
quelques jours avant sa fin, il voulut écrire sa mort souffle à souffle. Il s'était
fait apporter son ordinateur. Et nous lisons maintenant son dernier
chevauchement par-dessus la distinction ontologique et épistémologique initiale :
"fonctionnements / présence-absence-apparitionnalité". Et son
dernier trajet, qui est celui de tout mathématicien, entre le Réel
(mathématique, ici les tracés abstraits du moniteut) et la Réalité (physique,
la lumière et l'écran matériel du moniteur).
René Lavendhomme. Alphes
" Je fixe
l'écran de la machine gérant ma respiration. Un graphique s'y développe. Avec
ses zigzags verticaux usuels. Il y a plein de chiffres et d'indications
illisibles, mais je me concentre sur le graphique. C'est lui qui gère mon
souffle, qui me gère. Clairement la courbe descend. Ma respiration s'espace, se
rétrécit. Le graphique atteint le bas de l'écran. La figure toute entière
remonte pour que la courbe zigszagante puisse descendre, encore. Et je vois
apparaître sur cet écran noir et blanc, une ligne rouge, horizontale. Sur la
ligne est clairement écrit, en lettres grasses, le mot "mort". Et
le graphique de ma respiration descend en dessous de la ligne rouge. Alors,
c'est le point central, j'éclate de rire. Et je me dis que ces médecins et
cette machine autour sont idiots, ils vont croire que je suis mort puisque la
machine le dit. Mais moi je sais bien que ce n'est pas vrai. Et ça me fait
rire, rire.
Et ma courbe de
souffle continue de descendre. Une nouvelle ligne rouge apparaît au bas de
l'écran. Elle porte les mots "mort définitive". Et ma courbe crève
ce plancher aussi. Et je ris, je ris, je ris de n'être pas mort.
Je trouve que
c'est un rêve hallucination superbe. Bien sûr, j'y dis mon attachement à la
vie. Mais il y a l'extraordinaire rôle de la machine. Machine désirante. La
ligne de mort est rouge comme la cerise du désir. Pulsion de mort –
pulsion de vie ? Mais je m'émerveille encore de mon immense éclat de rire,
juste tout près de la mort. J'ai écrit ailleurs : et le rire absolu
force la fin du monde. Toutes les voyelles s'y pressent dans un rire de vie."
(Décembre 2002).
Cependant, pour
notre travail, nous changerons une dernière fois de mathématicien. Le Zelsa de Luc Erenvil, écrit de 1990 à 2000, a pour nous l'intérêt qu'il utilise
toutes les (dé)ponctuations (Mallarmé), les glissements et enroulements
sémantiques (James Joyce), les alloautobiographies (Virginia Woolf), les
syntaxes chevauchantes (Salman Rushdy), les phonosémies coaptatives et les
premiers soupçons de chance évolutive (Mc Cay), non plus seulement à
déconstruire le MONDE 2 dans ses derniers soubresauts, et en particulier dans
ses chances probabilistes à la Borges
(1950), ce qui occupa la majeure partie du XXe siècle, mais aussi parce que,
dans les toutes dernières années du siècles, Zelsa ouvre le plus somptueusement les étonnements admiratifs de la chance
évolutionniste. Zelsa est un capitaine
d'Univers au long cours, un corps et un système nerveux à la fois homme et
femme, Terre et Ciel, tempête et bonace, dont l'apparition ici-bas se rassemble
enfin dans un cercueil portant sa dépouille parmi quelques objets et photos, à
l'antique :
" … dans le
coffre qui l'emporte ainsi entourée sur les rives de l'au-delà ce coffre est à
lui seul un cargo qu'il pilote souffrant âprement pour que son dernier trajet
soit pareil à une glisse sur une mer sans grain les enfants crient comme les
oiseaux de Bornéo et quand tous lèvent les yeux au ciel s'éblouissent en
voguant sur les limbes azurés de la haute atmosphère il n'y a pour les émouvoir
parmi les cris des enfants comme dialoguant avec les oiseaux de ce ciel si bleu
ni corps flottant montant miraculeusement ni mirage d'âme vibrant en fumée
blanche simplement en eux quand leur regard va de la terre au ciel et vice
versa une confiance de toute beauté dans les potentialités prodigieuses de leur
deveniré … ".
Le cas d'Eranvil
nous concerne ici d'autant plus directement qu'avant d'écrire Zelsa, il avait consacré un temps presque aussi long, de I980 à 1990, a
faire un doctorat d'économie mathématique autour de la notion de "quality
of life", dont il publia une des clés dans le "Journal of
Mathematical Psychology" sous le titre : A Simple Sufficient Condition
for the Unique Representability of a Finite Qualitative Probability Mesure (1989). Nous aurons ainsi assisté, dans un même organisme hominien,
au passage, sur le cas très pointu de la "quality of life", de la
chance probabiliste à celle de la chance évolutionniste, en ce Zelsa dont le seul personnage, si le mot "personnage", typiquement
MONDE 2, a encore la moindre pertinence, est littéralement un moment d'Univers comme suite de (re)séquenciations
aminées et neuroniques. Non plus individu (in-divisum, mot ) mais seulement
nœud de processus d'individuation, aurait dit Simondon, où éclatent et se répandent
les mœurs de notre Univers ou Multivers ad-ventureux. Le virage des probabilités
(statistical chance) du travail économique de
1980-1990 aux potentialités (evolutionary chance) de la dernière ligne de Zelsa de
1990-2000, c'est toute l'histoire d'Homo de ces dernières années. Voire la
découverte essentielle d'Homo depuis ses origines.
Il y a, du
reste, un autre bénéfice à terminer sur Eranvil. En même temps qu'il écrivait Zelsa, il passa à la Computer Science Corporation (C.S.C.). Et ce passage
à l'informatique créatrice de projets nous invite à préciser que, dans notre
vue de la sexualité comme expérience privilégiée de la "chance
évolutionniste", nous avons considéré surtout la Topologie, la Géométrie
symplectique, la Théorie des catégories, la Théorie des Nombres, en prenant
pour guides D'Arcy Thompson, Thom, Grothendieck, Lawvere, Lavendhomme, Fleury,
Conway. Alors que, s'il y a un jour une autre mathématique qui puisse modéliser
plus efficacement l'événement de la "chance évolutionniste", il
faut sans doute l'attendre du côté de la mathématique informaticienne. Laquelle
a puissamment contribuer, depuis I990, à ce que le paradigme majeur de
l'épistémologie et de l'ontologie humaines ne soit plus la Physique mais la
Biologie.