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Texte de l'auteur - Introduction (3 pages) en PDF
 
 
 
ANTHROPOGÉNIES LOCALES - SÉMIOTIQUE
 
 
 
LES ARTS DE L'ESPACE
 
 
 
1. La Peinture (123 pages)
 
2. La Sculpture (29 pages)
 
 
 
 

Vertige! voici que frisonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.
Stéphane MALLARMÉ

 

Lorsque tout est à son intensité, — la couleur, le dessin, l’idée (le thème), la proportion, l’équilibre, l’harmonie réalisée entre tous ces éléments constitutifs, — alors à ce moment se déclenche une sensation de l’ordre de l’ineffable. Je l’ai baptisée : l’espace indicible. Le mot suffit. Et si j’ai pu toucher la sensibilité (même religieuse) des gens à Ronchamp et à la Tourette c’est à cause de cette nature d’harmonie déclencheuse d’espace. C’est dans la peinture que j’ai reconnu en premier ce phénomène indicible.
LE CORBUSIER, Lettre du 24 mai 1960.

 

Le donné formel est tout entier communicable, peut s’imiter ou s’apprendre; l’espace comme tel est incessible.
Jean GUIRAUD, L’énergétique de l’espace, 1970.

 

Introduction

Je suis fier de le dire, je n'ai jamais considéré la peinture comme un art de simule agrément, de distraction; j'ai voulu par le dessin et la couleur, puisque c'étaient là mes armes, pénétrer toujours plus avant dans la connaissance du monde et des hommes.
Pablo PICASSO, Interview publiée par New Masses, octobre 1944.

 

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C'est un des grands mérites de notre temps de s'être rendu compte que la peinture, l'architecture ou la poésie ne sont pas ces « ornements égayés » dont parlait Boileau, et Descartes avant lui.

L'homme du xviie siècle devait le croire. Il se représentait la vérité sous la forme d'idées claires et distinctes, qui s'exprimaient d'autant plus adéquatement que le langage était plus dépouillé, plus précis, plus raisonnable. Tout ce qui s'ajoutait à la pure énonciation, comme le charme du discours chez le poète ou la séduction de la couleur chez le peintre, n'apportait rien d'essentiel. Ce pouvait être un moyen pédagogique de stimuler notre attention, d'émouvoir notre sensibilité, et par là de nous mieux disposer à la réception du vrai. Ce pouvait être aussi un agrément raffiné, sorte de détente supérieure, qui était à l'esprit ce que le jeu est au corps. En tout cas, l'art demeurait un luxe, spirituel mais gratuit. Nos classiques parlent sans flagornerie lorsqu'ils se montrent si humbles dans leurs épîtres dédicatoires : ils croyaient sincèrement qu'en dépit du génie, leur activité n'était pas primordiale. En théorie, sinon en pratique, l'homme de lettres ou l'artiste, toujours un peu amuseurs, gardaient mauvaise conscience devant le théologien ou le soldat.

Les romantiques retrouvèrent et approfondirent le principe déjà affirmé à la Renaissance, que la vie esthétique, loin d'être accessoire, est une des manières fondamentales dont nous assumons notre destinée — en quoi réside leur révolution, plus qu'en l'exaltation du sentiment. Ils eurent pour seul tort d'insister tant sur la poésie et la musique qu'ils en oublièrent les arts de l'espace. Baudelaire et Ruskin, puis, au début de ce siècle, les théoriciens du cubisme, du surréalisme et de l'abstraction répareront leur négligence. Et les quelques décennies indispensables à la propagation des idées ont transformé la mystique de cénacles ésotériques, antibourgeois, « maudits », en conviction raisonnée et universelle.

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Cette dimension de l'existence, ce n'est pas de savoir quelle proportion de blanc d'œuf entrait dans la peinture à la détrempe, ni la datation des progrès du béton armé, ni les facteurs économiques ou sociaux ayant suscité les mécènes, ni les détails pathétiques des amours de Van Gogh ou des mésaventures de Le Corbusier, ni même les investigations psychanalytiques sur les relations de Vinci avec sa mère, qui nous y introduira. Tout cela, qui rend service, a été bien étudié, mais reste extérieur à la visée de l'art, comme Freud en convenait.

Et, à l'autre extrême, nous sommes également déçus par les philosophes. L'œuvre d'art, c'est la révélation sensible de l'Idée, dit Hegel; le dévoilement d'une origine, dit Heidegger; une profondeur dans le visage du monde, ajoute Weischedel; un quasi-sujet, pense Mikel Dufresne. Et sans doute ces formules, avec leurs accents divers, convergent et prouvent que, dût-on échouer à dire si tel objet appartient bien à l'art, nous entrevoyons cependant, depuis plus d'un siècle, ce qu'est l'art en général. Mais, de même que les enquêtes historiques restent en dessous de l'œuvre, les réflexions des philosophes planent au-dessus.

On voudrait alors une approche à niveau, de plain-pied. On suivrait dans leurs dispositions concrètes ce qui fait que la Bethsabée au bain, la Vénus de Lespugue ou le Tadj-Mahall ne sont pas des objets comme les autres et peuvent devenir le terme d'une expérience absolument originale. Nous retrouverions les définitions des philosophes, mais incarnées dans les structures de l'objet et dans les comportements du sujet, lequel, pour éprouver l'œuvre, doit toujours la refaire.

A vrai dire, la saisie artistique ne se présente pas d'une venue, et ce sera notre premier travail que de distinguer quatre attitudes, de plus en plus intérieures et profondes, devant l'œuvre d'art. Par ailleurs, la peinture est une surface étalée, la sculpture un centre englobé, l'architecture une couverture englobante, en sorte que nous devrons tirer les conséquences du fait que la première est plus visuelle, la seconde plus tactile, la troisième plus kinesthésique et cénesthésique. Contrairement à la tradition, où l'on part de l'édifice comme du lieu où tout le reste prend place, c'est vers le tableau que nous nous tournerons d'abord. La peinture est le plus complexe des arts de l'espace, celui qui, du point de vue perceptif, pose les problèmes les plus variés. Du reste, elle a dominé notre époque jusqu'à hier; c'est autour des toiles de Degas, de Cézanne, de Picasso et de Paul Klee que s'est noué le monde contemporain. En commençant par la peinture, nous avons des chances d'occuper une position centrale, d'où le reste s'éclairera